Pour qui sonne le glas? Pour le western spaghetti
Certains n'y verront qu'un énième western spaghetti parodique propre à l'époque (ce n'est plus l'heure des westerns sérieux et dramatiques voire pompeux), dans le style des Trinita et consort, certes un peu mieux réalisé que les autres. Et aux vues de certaines scènes (celle des baffes par exemple), je ne peux pas leur donner tort. Et puis, quand on prend Terrence Hill comme rôle principal, on ne peut que s'attendre à des scènes pas forcément toujours subtiles.....
Mais "Mon nom est personne", c'est bien plus que cela. C'est un film sur la fin de l'Ouest Sauvage (ce sont les westerns les plus intéressants je trouve), sur la mort des légendes, sur la démythification des héros. Sur une histoire d'amitié, aussi, entre un fan et son idole. Sur la passation de pouvoir entre génération et le décalage qu'il peut en résulter.
C'est tout d'abord la rencontre de deux personnages qui n'aurait jamais dû se croiser. D'un côté, une vieille terreur de l'ouest (à la William Munny de "Impitoyable") à qui il ne reste que la vengeance de la mort de son frère à accomplir avant de se ranger des colts et d'aller passer ses vieux jours en Europe. C'est Jack Beauregard (vu les yeux de Fonda, c'est évident...) superbement interprété par Henry Fonda. L'autre, un jeune naïf (mais l'est-il tant que ça?) qui ne jure que par Beauregard, connaissant sa vie et ses exploits sur le bout des doigts. L'un a bien vécu et est imprégné d'un certain cynisme l'amenant à rabaisser son propre mythe et à le rendre plus humain avec les défauts qui vont avec. L'autre, veux s'approprier la place qui va devenir libre mais il veut que son héros ait une sortie légendaire. Seulement les héros ne sont pas toujours ce qu'ils représentent et Beauregard, las et résigné, choisit l'argent à la vengeance. Mais allez faire comprendre cela au facétieux idéaliste qu'est Personne.
Jack Beauregard : Tu crois encore aux fables et à leur morale ?
Personne : Un homme, un vrai, doit croire en quelque chose.
Et cette association qui commence par la haine de Jack envers Personne se transforme petit à petit en forte amitié. Quelle idée géniale de Valerii (et de Leone) d'avoir choisit Hill qui représente la parodie (Leone était d'ailleurs vexé que les spaghettis parodiques fassent plus d'entrées que ses chef d'oeuvres) et Fonda marqué par ses rôles de cowboys. La boucle est bouclée et ce film sur la fin de l'ouest sauvage sonne le glas des westerns italiens (ironie....).
Et oui, c'est la fin d'une époque, l'arrivée de nouveaux codes de vie moins romantiques. L'honneur est une notion devenue toute relative et tout les coups sont désormais permis. Jack le comprend et il ne veut pas connaître ça:
Jack dans sa lettre à personne:
" Essaye pourtant de retrouver un peu de ces rêves qui nous habitaient, nous autres, de l'ancienne génération. Même si tu t'en moques avec ta fantaisie habituelle, nous t'en serons reconnaissants. Au fond, on était des sentimentaux. (....)
Le pays s'est développé et il a changé. Je ne le reconnais plus. Je m'y sens déjà étranger. Le pire, c'est que même la violence a changé. Elle s'est organisée. Un coup de révolver ne suffit plus, mais tu le sais déjà, car c'est ton siècle, ce n'est plus le mien."
La passation de témoin est actée, ne reste plus qu'a trouver une porte de sortie. Et là, douce ironie, la roublardise de Personne l'emporte sur les sens de l'honneur de Jack puisque la scène finale n'est que supercherie! Et là, Valerii après un hommage à Peckinpah (la bande de mercenaire est surnommée La horde sauvage" et une tombe d'une cimetière porte le nom du réalisateur) rejoint le grand John Ford: "Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende" (L'homme qui tua Liberty Valance). Jack rentre dans les livres d'histoires. Clap de fin, le western spaghetti est mort.
Ps:En fait je me fais chier à tenter d'expliquer tout cela alors que tout est parfaitement décrit dans la lettre que Jack envois depuis la cabine de son bateau, en partance pour son havre de paix bien mérité
"Mourir n'est pas la pire des choses qui puisse arriver à un homme. Tu vois, je suis mort depuis trois jours, et depuis trois jours j'ai enfin trouvé la paix. Tu m'as souvent dit que ma vie ne tenait qu'à un fil. Désormais, c'est la tienne qui ne tient qu'à un fil. Ils sont nombreux ceux qui veulent te le trancher, ce fil. Mais tu aimes le risque, c'est ta façon de te sentir en vie et c'est ça la différence entre nous : moi, quand je voyais venir une sale affaire, j'essayais de l'éviter. Pas toi. Si tu n'as pas une sale affaire à te mettre sous la dent, tu t'en inventes une et après l'avoir liquidée, tu en abandonnes le mérite à un autre, comme ça, tu peux continuer à être toi-même, c'est-à-dire personne. C'est astucieux.
(....)
Mais si tu peux encore te promener en attrapant des mouches, c'est parce qu'il y a eu des hommes comme moi, d'hommes qui finissent dans les livres d'histoire, pour inspirer ceux qui ont « besoin de croire en quelque chose », comme tu dis. Dépêche-toi de t'amuser, parce que ça ne durera plus bien longtemps.
(....)
C'est pour ça qu'un type comme moi doit disparaître. Ton idée d'un duel truqué était bien la marque de ces temps nouveaux. C'était le moyen le plus élégant de me faire quitter l'Ouest. D'ailleurs, je suis fatigué, car il n'est pas vrai que les années produisent des sages, elles ne produisent que des vieillards. Il est vrai qu'on peut aussi être comme toi : jeune en nombre d'années et vieux en nombre d'heures. Oui, je débite des phrases pompeuses, mais c'est ta faute : comment parler autrement quand on est devenu un monument historique ?
Je te souhaite de rencontrer un de ces êtres que l'on ne rencontre jamais ou presque jamais. Ainsi, vous pourrez faire un bout de chemin ensembles. Pour moi, il est difficile que le miracle se reproduise. La distance rend l'amitié plus chère, et l'absence la rend plus douce. Mais depuis trois jours que je ne t'ai pas vu, tu commences à me manquer.
Bon, à présent je dois te quitter. Et bien que tu sois le roi des fumistes et le prince des emmerdeurs, merci pour tout."