Telle mère, telle fille?
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le 7 juin 2012
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Autour d’un thème très simple, la réalisatrice Keren Yedaya, radicale et féministe, et ses deux actrices, totalement investies dans leurs rôles, jusqu’à s’y mettre presque en danger, proposent une fable très cruelle, souvent brutale et crue mais sans aucun pathos, sur l’état de la société israélienne.
Une jeune femme, sans doute immature et accro à la prostitution, est placée sous la tutelle, pas tant financière (elle n’a pas d’argent …) que morale, de sa propre fille. Et les relations souvent heurtées, le plus souvent sans les mots, parfois apaisées et presque complices (la scène du bain) entre les deux femmes rythment l’avancée du récit.
Ronit Elkabetz, très peu avantagée dans le film, cloîtrée, souvent écroulée, présente absente, dans des vêtements informes ou sans vêtements, ne redevient très paradoxalement elle-même que lorsqu’elle revêt ses habits « de travail », mini short moulant, qu’elle déploie sa longue silhouette pour s’échapper dans la rue après avoir échappé au contrôle de sa fille. Celle-ci, Dana Ivgy, très jeune, remarquable, porte en réalité tout le film –derrière ses rires, récurrents, un peu nerveux, bien joués, qui ne sont évidemment que sa façon de ne pas s’attarder sur sa situation, sa seule défense.
Elle porte sa mère et elle porte le film. Et, alors que la situation semble assez figée, en boucle (l’incapacité de la mère à se re-constituer une vie, les hésitations sentimentales, scolaires et professionnelles de la fille …) le spectateur finit par observer que dans toutes les activités qu’Or / Dana Ivgy / Mon trésor (surnom bien au-delà de l’ironie) conduit en parallèle pour la survie du « couple » il y a un trait commun – elle lave, elle enlève la saleté. Elle lave la vaisselle dans la minuscule cuisine du fast food où elle est employée, elle lave sa mère, elle se lave, en récupérant l’eau de la douche pour laver sa propre vaisselle, elle lave l’escalier et les murs de son immeuble. Elle récure.
Elle lave et elle lutte contre la crasse.
Mais cette lutte permanente, celle de Gervaise, est parfaitement vaine. Comme Gervaise, marquée par son hérédité finissait par sombrer dans l’alcoolisme, Or, mais de la façon la plus « sereine, va se résoudre dans la prostitution. En fait, il n’y a évidemment aucune fatalité biologique là-dedans – mais un déterminisme strictement social – porté par le regard, des hommes d’abord, mais aussi celui des proches, des voisins, des amis et même des petits amis et de leurs familles qui toujours vous enferment, vous renvoient à « votre » condition. Tout est écrit avant même que le récit ne soit engagé.
Ce « choix », ce destin se manifeste sans transition, quasiment sans préparation, mais également sans surprise. C’est la mise en scène, en apparence très simple, qui prépare le spectateur à cette rupture, à cette chute dont toute brutalité apparente est évacuée par le fait qu’elle semble si « aisément » assumée, même si le rire commence à sonner faux et jaune. Tous les plans du film sont fixes – mais cela bouge énormément à l’intérieur de chaque plan, chez les personnages filmés et parfois dans la profondeur du champ comme si les personnages s’agitaient et se heurtaient constamment contre les limites du cadre. Mais à la fin du film, le mouvement même finit par disparaître, les plans s’allongent, gros plan sur des visages souvent, presque impassibles. Toute velléité de lutte est désormais annihilée.
C.Q.F.D.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Une anthologie très aléatoire des critiques publiées sur Senscritique, mais surtout pas un palmarès
Créée
le 11 août 2015
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