Ingmar Bergman, avec tout le génie qu’on lui connaît (ou devine pour ma part, puisque c’est seulement le deuxième film que je vois de lui), nous propose tout en simplicité, sa vision de l’idylle amoureuse. Monika, c'est en effet un film portant un regard sur l'amour plein de pureté, cherchant à toucher du doigt l’universel, malgré son pessimisme évident, saupoudré de nihilisme. Mais qui dit simplicité ne dit en aucun cas simplisme. Le cinéaste suédois choisit un découpage très clair dans sa manière de raconter cette histoire tragique : la naissance de l’amour constitue le premier acte, puis vient la parenthèse enchantée de la romance à proprement parler dans ce qu’elle a de plus joli et de plus poétique, les moments suspendus hors du temps de cet amour que choisit de montrer Bergman conférant au récit et à sa narration une beauté exacerbée ; enfin, le déclin puis la fin de ce sentiment amoureux arrivent logiquement et laissent les deux héros désamparés et définitivement seuls au moment où se termine la diégèse.


Comment parler du fond sans évoquer d’abord la qualité formelle du récit ? L’emballage si soigné de ce long-métrage doit beaucoup à la caméra de Bergman qui fait de ces paysages nordiques un vrai régal pour les yeux. Les plans larges sur ces eaux agitées ou sur cette île qu’on devine verdoyante contribuent grandement à donner l’impression aux spectateurs que les deux héros sont des Adam et Eve des temps modernes, qui profitent de leur vie au paradis, cette île étant le point culminant de leur relation et de leur bonheur. Avant de rejoindre cette prison dorée, tout ce qui était extérieur au couple symbolisait le malheur, le monde qui les entoure leur en est en effet très hostile, en témoignent les agressions multiples qu’a à subir Monika, et les difficultés que rencontre Harry dans le monde du travail. La déchéance de leur relation intervient quand ils quittent cet Eden, preuve que le seul endroit où aucune menace ou presque ne pèse, c’est bien ce petit bout de terre entouré par la mer. Départ d’ailleurs précipité car Eve-Monika a goûté au fruit défendu, en volant un rôti à ce couple de paysans. Peu de temps après, le retour à la réalité s’avèrera fatal, malgré la présence d’un bébé désiré mais dont la charge est difficile à assumer.


Puisque la beauté visuelle a déjà été évoquée à travers le cadre du récit, il est nécessaire d’insister également sur le fait que le réalisateur a aussi à sa disposition deux acteurs formidables, qui représentent à merveille la fougue et l’immaturité de cette jeunesse qui rêve de liberté et fuit les responsabilités, du moins dans un premier temps. A ce titre, Monika est un personnage vraiment fascinant, qui envoûte le spectateur par sa grâce et sa soif d’aventures, et nombreux sont les plans qui rendent hommage à cette femme-enfant rattrapée bien trop tôt par la réalité. Harry incarne quant à lui la sagesse et la valeur travail, il a beaucoup plus les pieds sur terre, et c’est à partir de ces contraires qui s’attirent que naîtra la flamme au sens propre comme au sens figuré. Le départ pour l’île fait alors de ces deux amants des Bonnie & Clyde, qui n’hésitent pas à se servir du vol et de la violence, pour survivre mais aussi préserver le peu qu’ils ont. Difficile alors de ne pas penser à la Balade Sauvage de Terrence Malick, au moins durant cette partie du récit, comme d’autres l’ont souligné avant moi.


Cependant, l’été qui symbolise le pic de leur amour n’est malheureusement pas éternel et cette parenthèse onirique prend fin en même temps qu’ils regagnent la terre ferme. Commencent alors les problèmes de la vie courante qui auront finalement raison de cet amour en définitive bien trop éphémère. La relation idyllique du départ se banalise, se normalise, s’affaiblit. La tromperie est de mise, la violence fait son irruption au sein même du ménage. Alors la tragédie prend fin. Les regards-caméras (on oublie trop souvent que le bris du quatrième mur se fait à plusieurs reprises dans le film et pas uniquement par Monika) laissent alors deviner le sentiment de solitude extrême qui envahit les personnages. On pourrait traduire cela de cette manière, et cela n’engage que moi : les deux héros chercheraient, par un processus méta, du réconfort auprès des spectateurs, qui ne peuvent malheureusement rien pour eux.

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le 22 oct. 2020

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Albiche

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