(la critique contient des spoils)


On connait Bergman sur certains sujets de prédilection, et notamment celui fondamental de la vie de couple. Alors qu’une grande partie de sa filmographie se consacre à la vie conjugale d’adultes qui dépérissent de vivre ensemble, Monika, en phase avec la jeunesse de sa carrière, traite des illusions des débuts passionnels. Mais la cruauté des désillusions sera toute aussi éclatante.


A l’inverse des films hollywoodiens qui font pleurer l’héroïne, Monika pourrait s’inscrire dans la veine néoréaliste : on prend soin de dépeindre une réalité sociale, et le fossé qui sépare la jeunesse d’un monde adulte aussi ennuyant que contraignant.


Au monde du travail dans lequel on harcèle aussi bien le jeune homme que la demoiselle va donc répondre la fugue estivale. On peut penser à ce que deviendra le très poétique Moonrise Kingdom, dans la virée de deux jeunes en harmonie avec la nature insulaire, au grès de splendides images qui mettent en valeur l’eau, la pierre et le feu, avant d’évoluer vers un érotisme fusionnel.


Le film entier se met au diapason de Monika, joué par une extraordinaire Harriett Andersson qu’on retrouvera très régulièrement chez Bergman par la suite. Libre, entreprenant et insolente, elle embarque son amant comme le spectateur à sa suite, et la fuite en avant qu’elle propose ménage un temps la possibilité d’occulter totalement le réel.


Mais l’été s’achève, et avec lui la saison de l’insouciance. Toute cette beauté qu’on retrouvera dans bien des films du cinéaste se mue en souvenirs d’un âge d’or, et le cruel retour à la société met en place les thèmes tout aussi chers à Bergman : l’adultère, l’insatisfaction, la nécessité. Monika est un personnage d’une complexité rare, et qui tranche avec la figure féminine des années 50 : rebelle à l’ordre établi, elle n’a finalement qu’un idéal : elle-même, et sa liberté ne peut être considérée comme une valeur universelle que viendrait illustrer son parcours.


L’amour d’un homme, la responsabilité d’un enfant, la maturité d’un foyer à construire sont autant de repères qu’elle balaye d’un revers de la main.


Le terrible et célèbre regard caméra de la protagoniste (« le plan le plus triste de l'histoire du cinéma » selon Godard), sur le point de commettre l’irréparable concentre toute cette ambivalence : Monika sait qu’elle est méprisable, mais poursuit sa fuite en avant. Cette conscience aigüe de ses propres manquements est l’un des traits fondamentaux du cinéma de Bergman.


La parenthèse enchantée se mue ainsi en conte naturaliste, et au soleil des plages succède une rue nocturne, un couffin et un miroir dans lequel le père contemple son reflet. Monika s’est évaporée, et ne restent d’elle que les lueurs d’un flashback : une beauté qui ressurgit, mais sous le sceau d’une déstabilisante interrogation quant à sa valeur, et sa possible toxicité.


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Sergent_Pepper
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le 9 nov. 2017

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