S’il y a bien un type de production animée qui se fait bien plus rares de nos jours sur le grand écran, surtout en comparaison des films d’animation en 3D de la part des studios américains, ce sont les films en stop-motion. Pour deux raisons principalement, d’abord en raison de la domination de masse des films d’animation en image de synthèses depuis de longues années maintenant. Et ensuite parce que l’animation en volume prend bien plus de temps pour se mettre en place, est plus coûteuse, plus technique et surtout bien plus dure à adapter aux récits que l’on veut faire passer au cinéma.
Deux noms de studio reviennent régulièrement depuis le début du siècle pour ce qui est du cinéma d’animation en volume : les studios britanniques Aardman auquel on associe Wallace et Gromit, et le jeune studio Laïka en train de se constituer petit à petit un parcours sur les chapeaux dorés s’il n’y avait pas l’intrusif et faiblard Boxtrolls pour tâcher leurs bons débuts. Et les contrées et horizons explorées continuent de se développer au travers de ce cinquième film qui tourne la page après une odyssée dans les contrées asiatiques antiques, pour un voyage d’explorateur en mal de reconnaissance et de sasquatch isolé des siens.
Chris Butler, qui avait déjà accouché du très chouette L’étrange pouvoir de Norman, reprend justement le thème de l’être rejeté par son milieu mais en y transposant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et en faisant mentions des évolutions qui y ont vu le jour. Un cadre parfaitement choisi pour un héros loin d’être blanc comme neige tel que Lionel Fraust, un explorateur habile et déterminé à prouver les mythes dont il est témoin mais manquant de scrupule et d’estime envers autrui.
Scrupule et estime qu’il devra acquérir et apprendre à éprouver au fil de son voyage aux côtés du Sasquatch, le fameux Monsieur Link, le gros point fort du film : intelligent, doué de langage et délicat dans ses manières là ou son corps suggère l’exacte opposé. Voyant naïvement en Lionel l’homme de la situation à sa solitude, il en devient rapidement attachant et fendard dés qu’il interagit avec l’explorateur civilisé et que Chris Butler joue sur leur différence culturel (les paroles prises au premier degré par le Bigfoot, l’allure classieuse de Lionel en décalage avec le mordant de certaines de ses réactions). Les ratés et tentatives plus maladroit ne sont pas manquant pour autant
(Link qui mange une bouse de yacht durci comme un cookie, désolé mais les blagues scatophiles dans les films d’animation tout public ce n’est pas recevable)
et il y a à redire par moment sur la ressemblance avec l’humour à la Aardman mais ils ne nuisent heureusement pas à l’essentiel même de la relation qui liera ce duo.
Ainsi qu’un troisième protagoniste, la veuve Adelina, qui servira de liaison et de conscience morale vis-à-vis de Lionel. Néanmoins ses dialogues à ce sujet ne sont néanmoins pas très subtil et sont le plus souvent direct et frontal (le dernier acte est très parlant de ce problème à ce sujet), peut être pas avec la délicatesse d’un dos de porc-épic mais il y avait moyen de mieux faire passer la limonade.
Surtout que la limonade en elle-même est tout ce qu’il y a de plus appréciable et évident au bout de ces 1h30 de film :
Lionel et Link étant tout deux des mal-aimés par la communauté que chacun veut rejoindre et rejeté comme des pestiférés car en décalage avec ce même groupe ethnique ou culturel sur leur temps, peu importe leurs raisons.
C’est d’ailleurs lorsqu’ils partagent des moments plus complices et simple tel que l’échange sur le bateau en plein océan que le film dévoile l’âme qui la constitue derrière, car même si Chris Butler n’est pas toujours fin il sait qu’avant de faire rire, il faut des personnages construits et qui ont l’air d’agir comme de vrai personnages peu importe leur caractère. Chose que l’on ressent tout du long avec ce duo aussi surprenant de prime abord qu’il en est logique sur la durée.
Mais si les interactions du duo Link/Lionel font la lance même du film, son antagoniste n’est malheureusement pas aussi bien loti. Lord Piggot-Dunceb a beau avoir une cohérence en tant que conservateur et réfractaire aux évolutions de l’époque et à la vision de l’explorateur, il est en revanche complètement ridicule et caricaturale en tant que personnage. Et c’est pas comme un antagoniste façon Peter Quatremains chez Wallace et Gromit qui est destiné à faire rire et le fait bien, ici il est plus navrant qu’autre chose et cela empêche de prendre entièrement au sérieux la lutte entre le fossé culturel qui écarte Lionel de ses adversaires alors qu’il y avait des graines qui n’attendaient que de germer à partir de cela.
En revanche, on ne peut pas être de mauvaise foi quant à la qualité graphique des artistes du studio quant à l’animation. A chaque film la technique se perfectionne sur sa palette de couleurs et ses choix esthétiques : Coraline optait pour un teint grisaillant dans le monde réel avec un teint plus superficiel, Kubo et l'armure magique pour une direction plus exotique et mythique, Monsieur Link opte pour un style colorimétrique plus appuyée mais sans outrance en reprenant le dépaysement proposé par la précédente production du studio mais en adaptant l’environnement aux normes de l’époque dépeinte. Un détail tout con pour souligner le sens du détail de la direction visuel : la nuance de vert employé entre la forêt américaine profonde printanière et le vert plus estivale et fleuri de la forêt indienne. A noter également que les fonds verts sont là encore parfaitement incrustés avec les décors animé en volume (Butler s’assurant de placer la caméra en plongée la grande majorité du temps et rarement vers les hauteurs sauf lorsque les maquettes servent de fond d’image), et que si Carter Burwell ne livre pas la composition la plus inspirée de sa discographie (on l’a vu plus à l’aise chez les Coen), l’accompagnement musical fait majoritairement bien son boulot. Malgré tout, on est loin de la qualité sonore de Dario Marianelli ou de Bruno Coulais dans les précédents travaux musicaux des compositeurs ayant officié chez Laïka jusqu’à maintenant.
Il a beau comporter des fautes de finition, Monsieur Link prouve à son tour la volonté des studios Laïka à conter des récits animées avec des intentions sincères et une personnalité graphique propre à la marque du studio. Les maladresses sont pardonnables au profit d’une très belle direction visuelle et d’une aventure aussi drôle qu’instructive sur l’appartenance avec de la pâte à modeler. Et à ce propos, Shaun le mouton 2 prévu pour octobre prochain pourrait bien embellir la note.