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Que ne ferions nous pas par amour?

Dans les films, c’est l’amour qui meut les personnages au plus profond de leur être et les pousse, presque malgré eux, à franchir de nombreuses frontières et limites, quitte à commettre l’indicible, émergeant parfois comme l’inéluctable. Généralement, on parle de l’amour romantique : ce sont Roméo et Juliette qui se donnent la mort et qui la causent par amour. Mais qu’en est-il des parents, des proches ? La question peut surprendre, mais elle mérite certainement d’être élucidée. La réponse se trouverait peut-être bien loin des adaptations de Shakespeare, mais plutôt dans le cinéma coréen, par exemple. D’une richesse méconnue, il abrite l’un des grands réalisateurs de notre époque dans l’art de dépeindre les rapports familiaux de tous types, qui permettent d’ailleurs de nourrir la fresque de la société sud-coréenne. Saisir avec dextérité et fulgurance une société torturée et emprunte d’absurdités qui ne se voient pas à la surface.


Bong Joon-Ho, encensé par la critique grâce à Parasite et découvert par l’occident à cette occasion, n’en est pourtant pas à coup d’essai. Bien avant cela, il livrait déjà des œuvres mélangeant différents genres, sans pour autant s’égarer de celui qui lui sert de fil rouge, ni se défaire de cette volonté permanente de mettre en scène des familles dysfonctionnelles et originales. Nous pourrions nous attarder sur toute sa filmographie, mais un seul article serait bien trop maigre pour cela. De ce cocktail caractéristique est né en 2009 Mother, troisième long-métrage de Bong Joon-Ho, et peut-être le plus significatif et subversif de sa carrière de réalisateur.


Mother, semble donner par son titre toutes les informations du film, contrairement à The Host ou bien Parasite qui jouent sur la polysémie du terme. Ici point de double sens, seulement un terme à la portée universelle, qui vient nous interroger sur ce que Bong Joon-Ho peut dire d’une mère dans un long-métrage. Tout du long elle n’a pas de prénom, mais seulement celui de son fils à la bouche : Do-Joon. Adulte “simplet” et quelque peu déconnecté de la réalité, il est dirigé par elle toute sa vie durant. En témoignent de nombreuses scènes dérangeantes, telle que la scène dans laquelle elle lui apporte à boire, n’hésitant pas à le regarder uriner contre un mur. Cette relation quasi-incestueuse se trouve interrompue par la mise en cause de Do-Joon dans le meurtre d’une lycéenne.

C’est certainement l’œuvre la plus marquante du réalisateur - après Parasite. Tout comme son chef-d’œuvre, Mother est orchestré d’une main de maître. L’ambivalence des plans vient nous frapper en plein visage : Do-Joon et les autres personnages peuvent nous paraître excessivement proches par ces gros plans (quitte à couper une partie de leurs têtes, ce sont en réalité les yeux seuls qui comptent), mais aussi bien trop lointains par ces plans plus larges qui les perdent dans le décor comme isolés dans cette société qui n’est qu’apparences, pour mieux dissimuler les secrets. Ceux-ci sont presque artistiquement perceptibles à travers ces plans de profil des personnages, contrastant avec la proximité des gros plans de face. C’est notamment le cas dans l’une des meilleures scènes du film, lors de la confrontation entre Do-Joon et sa mère dans le commissariat.


L’amour maternel devient bien trop étouffant, et Mother dérive vers des actes plus dingues les uns que les autres pour prouver l’innocence du fils. La réussite de cette œuvre tient certainement à l'ambiguïté de la position dans laquelle Bong Joon-Ho met les spectateurs : nous comprenons l’amour de cette mère qui s’occupe de son fils, mais ne cautionnons pas ses actes déplacés voire glauques. Là encore, une étrange sensation : de proximité d’abord, et un instant plus tard d’éloignement vis-à-vis des personnages et de l’histoire. Par la richesse des contrastes, le fond et la forme s’enchevêtrent, comme ensorcelés par le travail du réalisateur.

Mais voilà : la mère est certainement en Corée du Sud la “personne sacrée”. C’est la mère courage, celle qui se dévoue sans sourciller ni commettre le moindre faux pas. Pas un instant son dévouement et l’innocence de Do-Joon sont remis en cause, et c’est là qu'apparaît la patte de Bong Joon-Ho : en dépit des contrastes, le manichéisme n’a pas sa place. D’une certaine manière, toute personne s’avère être coupable et n’est pas moralement irréprochable. L’on peut citer pléthore d’exemples, dont forcément la mère mais aussi les lycéennes qui se prostituent, les hommes qui profitent des femmes, les policiers toujours aussi absurdes, prêts à condamner le simplet du village. Et pourtant, la quête violente à la recherche du meurtrier vient nous faire prendre conscience de l’instabilité mentale de la mère face à celle du fils, doublement condamné par son état mental et la société.


Pour autant ce polar absurde voire comique prend peut-être trop son temps avant de capturer totalement l’attention des spectateurs : c’est certainement le plus gros défaut de l’oeuvre, tout comme les courtes présences à l’écran de l’acteur Jin Goo, qui incarne Jin-Tae l’ami de Do-Joon, mais aussi la construction narrative de son personnage qui peut sembler illogique. L’ami peu fréquentable devient le potentiel tueur, puis s’improvise meilleur policier que ceux qui investiguent. C’est paradoxalement ce personnage qui, en peu de phrases, résume l’idée première de l'œuvre : “ne faire confiance à personne”. Ni aux personnages, ni même à Bong Joon-Ho, qui réalise le tour de force de nous égarer sans pour autant nous perdre définitivement. Une seule chose est sûre: Mother aime son fils.


EvGrd
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le 1 mai 2024

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