Naga
4.8
Naga

Film de Meshal Al Jaser (2023)

Désert, crise d'adolescence et renouveau de la société saoudienne

Apprenant l'arabe et ayant vécu dans le Golfe, je regarde quasi-systématiquement toutes productions arabes sortant sur Netflix. Pour Naga (une chamelle en arabe, prononcée avec le g typique du Golfe), c'est un jeune réalisateur dont c'est le premier long-métrage. Yala !


Plusieurs thèmes s'entrecroisent dans ce film, qui pour le coup reste dans la tradition du cinéma saoudien en pleine expansion : la place des femmes dans la société, le conflit de génération avec des jeunes qui veulent profiter de la vie, la place de la tradition dans la société.

Pour revenir sur ce dernier point, pour le coup ce film pousse, en forçant le trait, un très bon portrait de l'ambiance des désert arabes : un lieu de danger (l'immensité, les chameaux) mais surtout un lieu de loisirs, avec les camps (moukhiam) dans le désert pour passer le week-end (et ces ambiances surréelles de luxe dans le désert), le food-truck sorti de nulle part, les jeunes en quads, enfin les élevages de chameau.

Parlons du chameau, figure incontournable du film : dans le cadre de ce voyage initiatique, c'est peut-être une certaine représentation de la parentalité, du père de Sarah finalement, qui à la fois donne la vie et terrorise sa progéniture. Contrairement à une autre critique très négative sur ce site, ce n'est pas un inconnu qui égorge le chamelon mais le gardien du troupeau (sans doute soudanais comme c'est l'habitude dans le Golfe). Le chameau à la fin est mangé : Sarah prend sa revanche sur la bête qui l'a terrorisée. Le buffet (et pas un sacrifice, il n'y a aucun aspect religieux à cette scène de bouffe, c'est un événement social pour marquer le sauvetage de la jeune femme) est le passage du monde de l'enfance vers l'adulte (l'enfant d'ailleurs n'est pas très alléché par la viande de chameau).

Parlons des femmes, et de Sarah, principale protagoniste. Ce film n'est pas un film dénonçant la condition de la femme en Arabie saoudite (comme quelqu'un ne connaissant pas le monde arabe pourrait penser). C'est un film de jeunesse où les jeunes filoutent pour échapper à la tutelle parentale. Le voile tombe très vite une fois arrivé dans ce lieu de liberté qu'est le désert. Sarah est un personnage attachant, complètement soumise à son père certes, mais on la découvre à la fois rancunière, presque dérangée, violente, ambitieuse : une vraie peste, ce qui amène une vraie fraîcheur dans ce film. Elle est bloquée dans cet entre deux qu'on appelle l'adolescence et le vit mal, essaye des échappatoires (la drogue, la sortie dans le désert).

Enfin, en fond, une mise en valeur des changements dans la société saoudienne. La poésie, grande tradition arabe, n'est plus qu'un son émis par un vieux perroquet dépourvu d'imagination ; les nouvelles passions sont le foot (et d'ailleurs utiliser la poésie pour parler du football est la preuve de la décadence de la poésie traditionnelle, la poésie étant réservé aux choses plus nobles) ; l'alcool, bien que peu montré dans le film, coule à flot dans le camp (alors que interdit en Arabie saoudite, bien que partout présent) ; la transe est également bien présente et montre une continuité des traditions. La scène de départ est ainsi un clash de la tradition et de la modernité et permet l'introduction de la figure autoritaire du père. Beaucoup de choses paraissent artificielles dans la nouvelle société saoudienne qui se cherche, le jeu des lumières le montre bien.


Tout cela desservit par un jeu de caméra original, une ambiance onirique, sous ecstasy, qui met très bien en valeur l'absurdité du désert saoudien. Si certaines scènes pourraient être moins longues, mieux construites, moins artificielles (le duel avec la chamelle), ce film n'en reste pas moins un petit chef d'oeuvre qui annonce un bon avenir pour le cinéma arabe. Mais c'est vrai que le film nécessite des clés d'analyse multiples et internes à la société saoudienne.

ZhuDe
9
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le 13 déc. 2024

Critique lue 6 fois

ZhuDe

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