Corps à Venise
Troublante expérience que le visionnage de l’œuvre de Nicholas Roeg. Après les errances primales de Walkabout, c’est dans l’univers urbain de Venise que se situe son troisième long métrage : la...
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Troublante expérience que le visionnage de l’œuvre de Nicholas Roeg. Après les errances primales de Walkabout, c’est dans l’univers urbain de Venise que se situe son troisième long métrage : la ville, propre aux apparitions fantomatiques, au flottement spectral comme à l’émergence d’un passé lourd de sens, suinte de toute part une étrangeté qui contaminera spectateur et personnage principal.
Restaurateur d’une église dont les gargouilles rappellent les démons de L’Exorciste, sorti la même année, John tente d’oublier la mort de sa fille, relatée dans une scène augurale pour le moins déconcertante, et dans laquelle le montage a un rôle déterminant : les associations étranges entre son travail dans la maison et la noyade dans le jardin laissent supposer une vision prémonitoire, ou au moins simultanée, de ce qui se passe à l’extérieur.
La question de la vision est centrale : celle du passé qui hante les rues d’un ailleurs qui ne permet pas l’oubli, celle du présent qui occasionne des retrouvailles entre le mari et sa femme, dans une séquence érotique aussi longue que saccadées en innombrables cuts, et celle d’un futur qui revient annoncer un nouveau décès, et que John refuse d’assumer. Les avertissements de l’aveugle médium, la seule clairvoyante (un classique dès les origines, avec le personnage de Tirésias dans Œdipe) ne suffiront pas.
L’ambiance est pesante, la caméra très mobile, et les dédales nombreux dans cette intrigue qui joue de la confusion pour perdre ceux qui pensaient en maitriser le fil.
Roeg joue surtout sur plusieurs tableaux : celui du thriller, par une atmosphère anxiogène et l’avènement inéluctable du pire ; celui du fantastique, grâce à ces visions et les apparitions multiples, ce motif du manteau rouge qui fait saigner les plaies du souvenir comme celles, physiques, à venir ; et, enfin, la lecture psychanalytique par le désir de mort de la fille, refoulé par le mari éloigné de sa femme, et qui précipite sa propre perte en refusant les avertissements.
Roeg garde intacte sa trouble singularité : par sa cruauté à l’égard de ses personnages, par sa capacité à instiller l’étrangeté dans un décor, et son jeu avec les conventions cinématographiques clivées pour mieux servir son propos.
Un cinéaste Dédale qui donne du fil à retordre, mais aussi l’envie de le suivre.
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le 1 juin 2017
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