Il est amusant de noter à quel point une vague récente de cinéastes (notamment européens) se réapproprie le western et ses ressorts a priori classiques afin de chercher à en extirper de nouvelles formes de discours intimistes dans une époque charnière de l'Amérique. Citons bien sûr "Brimstone", "Les Frères Sisters" ou même le "Hostiles" de l'américain Scott Cooper, ces films semblent se tourner vers les piliers d'un pays qui a longtemps hésité entre s'installer dans la sauvagerie du far-west ou embrasser le modernisme de la civilisation pour y rechercher une lueur d'espoir humaine. Évidemment, tous n'ont pas la même finalité de propos à divers degrés et il serait dur de les mettre sur un plan équivalent en ce sens mais cette volonté de revenir aux sources de cette nation aux fondations fragiles par le prisme d'un genre cinématographique paraît tout de même traduire une volonté d'éclairer les spectateurs devant les formes de violence qui émanent de ce pays à l'histoire si particulière.
C'est donc au tour de l'irlandais Ivan Kavanagh ("The Canal") de s'attaquer au sujet en se plaçant cette fois dans le contexte de Garlow, une petite ville aux portes de la Californie et tiraillée entre deux extrêmes d'une Amérique en plein questionnement sur son identité...
Au début du film, Garlow est régi par un prêtre protestant et sa cour de fidèles qui y ont proscrit l'alcool, le jeu et la prostitution de manière radicale. Cette dictature religieuse permet, certes, une assimilation de tous les immigrants de différents nationalités réunis sous l'influence de mêmes préceptes mais celle-ci n'est en réalité que de façade et son jusqu'au-boutisme de vertu ne peut bien entendu pas tenir. Néanmoins, ce mode de vie correspond très bien à Audrey (Déborah François), la femme d'origine française de Patrick Tate (Emile Hirsch), le héros du film. Celle-ci accepte ce dogme religieux, imaginant déjà passer le reste de son existence à Garlow, pendant que son mari, lui, envisage toujours de pousser leur odyssée jusqu'en Californie à cause de sa profession de charpentier/croque-mort qui, ici, ne lui permet pas de gagner correctement sa vie.
Mais tout va changer avec l'arrivée de trois chasseurs de primes en ville. Menés par Dutch Albert (John Cusack habillé en noir en permanence pour signaler qu'il est très méchant), les trois hommes à la morale qui n'a rien de vertueuse vont racheter le saloon de Garlow et y réintroduire tout ce que le pasteur en avait banni par le passé. Soudainement, les soirées de Garlow deviennent beaucoup plus animées et, alors que la religion y perd peu à peu son pouvoir d'influence, les cadavres commencent à se multiplier en ville. Si Patrick ressent le côté malfaisant des trois nouveaux patrons de Garlow et s'en méfie fortement (surtout que l'un d'eux a méchamment flashé sur sa femme), il ne peut passer outre le fait que leur présence lui permet de connaître un nouvel essor professionnel et bien sûr financier...
Ce héros pétri de contradictions entre l'arrivée de nouveaux profits pour le bien de sa famille et le mal à l'état pur qu'il se met à servir contre son gré va donc devenir à lui tout seul le symbole de cette Amérique qui se cherche encore sur la voie à adopter pour la survie de son avenir. Et, plus largement, c'est aussi le cas de la ville de Garlow avec son drapeau américain placé sur ce saloon en pleine perdition, théâtre de cet affrontement entre une violence anarchique et un ordre religieux rigoureux.
Si "Never Grow Old" n'atteint clairement pas la haute qualité de ses collègues contemporains du genre cités en introduction à cause notamment d'un déroulement très classique (l'ultime confrontation est teasée en plus par un flashforward pas très finaud en ouverture) et de certaines ficelles à la redondance agaçante (la force des figures féminines sera mise en avant in fine mais, la plupart du temps, elles n'en seront réduites qu'à provoquer un sentiment de malaise en étant des objets de convoitise pour les yeux libidineux des hommes), le film d'Ivan Cavanagh a le mérite de son efficacité dans la montée en puissance de ses événements sordides qui amène son héros à embrasser de plus en plus sa part obscure et les conflits internes qu'elle entraîne.
"Never Grow Old" n'a pas l'originalité de son discours pour être un sommet du western mais il le pose et l'exploite toujours de manière pertinente, n'éludant jamais l'ambivalence de son héros devant la plongée dans les ténèbres humains que représente le nouveau pouvoir exercé à Garlow. Il en est de même pour l'autre camp, celui du prêtre protestant, dont l'impuissance face à la montée du vice appellera des méthodes drastiques traduisant encore un peu plus la montée du danger de son extrémisme religieux.
Enfin, notre attachement plutôt bien construit vis-à-vis de la famille au coeur du film sublimée par un très bon casting (l'alchimie entre Emile Hirsch et Déborah François est incontestable) et une mise en scène véhiculant une tension toujours omniprésente dès l'arrivée du trio infernal dans leur environnement permet d'éluder notre connaissance des enjeux prévisibles de ce type d'histoire pour se concentrer sur l'évolution, la réflexion humaine qu'un dilemme aussi intenable représente pour son héros, et l'explosion qui lui sera inévitablement conséquente (la dernière partie, entre violence et émotion, sera d'ailleurs très réussie).
Peut-être pas assez atypique pour véritablement faire date, "Never Grow Old" n'en demeure pas moins un western de qualité, efficace et passionnant par sa portée mêlant le sort intime de ses personnages à la grande Histoire du destin de toute une nation.
Et, petit bonus, même si son rôle n'est pas des plus nuancés, que cela fait du bien de voir John Cusack sortir la tête de l'eau dans un bon film après une série de DTV minables ! Un argument de plus à mettre au crédit de la réussite du long-métrage d'Ivan Cavanagh...