Quand Frank Capra invente (ou presque) la comédie américaine, les airs se bousculent dans la tête,

A la façon d’une version renouvelée de « On the road again » ; pas celle de Willie Nelson ni celle de Canned Heat ; ni Lavilliers ; pas davantage Jack Kerouac. On verrait plutôt un « à la manière de » Jacques Prévert –

Alors on est revenu à pieds (…)
A pieds, à cheval, en voiture et en bateau à voiles …

Car il s’agit bien, aussi, d’un road comic movie. – comme un grand tour en plusieurs étapes, avec moyens de transports approximatifs, en bus surtout, un bus aussi vivant que brinquebalant, on le retrouvera, à pieds, en auto-stop (avec un cours délirant sur l’art de faire du stop, en trois mouvements, un des meilleurs moments du film, irrésistible), en voiture, très cahotante ; on aura même l’occasion de saluer un train noyé dans la fumée, et un avion (piloté par un avatar de Howard Hughes ?), après un départ donné depuis le pont d’un bateau et à la nage.

A la façon, un peu saugrenue, d’une publicité Volvic confiée à un footballeur célèbre. Mais là, à l’évidence, il s’agit d’un plagiat.

C’est toujours les mêmes gestes
D’abord la jambe gauche, chaussette, chaussure
Toujours
Puis la jambe droite …

On a là presque un copié/collé de l’inénarrable séance d’effeuillage proposée par Peter Warne / Clark Gable : « Jai connu quelqu’un qui gardait son chapeau jusqu’à la fin … C’est là où je suis différent. J’enlève les chaussures, d’abord la droite, puis la gauche. Après c’est chacun pour soi. »
(Anecdote : à cet instant Clark Gable a déjà retiré son maillot de corps. Et dans tous le pays, les ventes de sous-vêtements ont chuté en flèche au point que les commerçants ont tenté de poursuivre la Columbia en justice …)

A la façon d’une chanson évoquant un cheval blanc. Dans New York – Miami, il s’agit plutôt d’un autobus –

C’était un vieux bus blanc
Il s’appelait Screwball …

Toute la première moitié se déroule, en grande partie, dans ce bus, et de la façon la plus festive – quand les voyageurs, figurants et vedettes confondus, se mettent à improviser sur « The Man on the flying trapeze ». Presque en apesanteur, jusqu’à ce que le conducteur, pris dans l’ambiance, n’immobilise le bus dans une ornière.
Avec New York – Miami, Capra aurait créé le genre de la « screwball comedy ». C’est toujours difficile d’évoquer les premières fois ; cela dit, tout y est : la farce loufoque héritée du burlesque, le ping-pong verbal entre les deux personnages, le contraste des classes sociales (ici la pauvre jeune fille riche et capricieuse et le journaliste grande gueule qui vient de perdre son travail), la comédie romantique (où par delà leurs différences, les personnages sont évidemment amoureux mais peinent à le déclarer), la comédie de mœurs (avec ici la question du mariage) …
Tout y est et même plus – à commencer par l’équilibre idéal trouvé entre les deux personnages, en évitant les contrastes outranciers entre l’agité (voire l’hystérique) et le dépassé totalement paumé (comme dans l’Impossible M. Bébé). Claudette Colbert, en héritière capricieuse et vaguement insupportable, certes, mais aussi à la personnalité forte, et vulnérable, et sensuelle apporte un excellent contrepoint à la performance monumentales de Clark gable, immense acteur.
(Et l’histoire dit pourtant que tous deux n’avaient que très difficilement accepté les rôles …) C’est assurément cet équilibre qui assure la fluidité permanente du film – deux vrais rôles, des réparties qui claquent (après un round d’échauffement plus traditionnel), des répliques ciselées des grands moments (le stop, le déshabillage déjà évoqués), et une belle romance , et très sensuelle …

Ou à la façon d’un blues célèbre de Paul Robeson :

Joshua fit the battle of Jericho
Jericho Jericho
Joshua fit the battle of Jericho
And rhe walls come tumbling down …

Ou encore d’un poème très célèbre de Victor Hugo :

Autour du roi joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.

A la septième fois les murailles tombèrent.

Les remparts de Jéricho ici, c’est le drap suspendu séparant les deux lits parallèles dans les chambres de motel partagées par la force des choses (la farce des choses plutôt) entre l’homme et la femme. Ceinture de sécurité ou de chasteté à l’efficacité incertaine – à la septième fois …

(Anecdote : la chute du mur aurait profondément choqué l’Amérique profonde – des relations sexuelles hors mariage …)

Autour de Clark Gable et de Claudette Colbert, réellement excellents, s’agitent également un père / beau-père colérique et bonne pâte, un rédacteur en chef colérique et bonne pâte, un vieux dragueur terrorisé par un pseudo parrain (Clark Gable en roi de l’enlèvement …), un pillard des routes aux qualités de ténor très médiocres, en arroseur – arrosé, voleur – volé …

…. Et des images des séquences particulièrement réussies : les deux lits parallèles, dans le noir presque intégral, avec les deux grandes taches blanches des fenêtres et les raies de pluie, séparés par la fameuse muraille, avant que l’image ne s’efface dans un fondu au noir, les images presque vaporeuses de nature, eau et forêt, puis grange avec la nuit qui s’installe ; le jeu sur les sons, grâce au montage alterné entre les klaxons du cortège officiel et les chants d’oiseau accompagnant la vieille guimbarde de Peter Warne ; l’enchaînement plus que rapide des titres de presse, avec surimpressions, presque une signature de Capra …

On peut alors revenir (et conclure) avec Jacques Prévert :

Alors on est revenu à pieds
A pieds tout autour de la terre
A pieds tout autour de la mer
Tout autour du soleil
De la lune et des étoiles,
A pieds, à cheval, en voiture et en bateau à voiles …

Qu’on se repasse le film, dans la tête – tout y est.
pphf

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