Lorsque Lubtisch rencontre Garbo avec l’ambition de la faire rire à l’écran c’est un moment particulier de l’histoire du cinéma qui s’écrit.
Mais avant le chef-d’œuvre insurpassable qu’est To be or not to be, c’est davantage sa confrontation à l’histoire de son temps qui interpelle. Nous sommes en 1939, et le réalisateur va aborder de front l’idéologie communiste dans une comédie dont lui seul a le secret.
Les trois bolcheviques qui ouvrent le film en donnent le ton : sorte de Marx brothers, dans tous les sens du terme, ils s’émerveillent du luxe et de la brillance du monde parisien dont ils tardent à gouter les fastes. L’arrivée de Ninotchka, Garbo dans toute sa raideur, devrait les remettre dans le droit chemin.
Le film prend alors une nouvelle direction, celle de la confrontation entre deux civilisations. On pense aux Lettres Persanes dans le regard posé par la communiste sur la société parisienne, avec la malice propre à Lubitsch. Loin de se limiter à la propagande occidentale, il renvoie dos à dos tous les systèmes : celui de l’aristocratie russe exilée, des poncifs de la mondanité française et des excès totalitaires soviétiques. Comme toujours, les réparties sont brillantes et la comédie jubilatoire.
Lorsque la romance prend le relai, l’enjeu est de taille : alors que Ninotchka se propose d’étudier des spécimens occidentaux, elle se retrouve à découvrir sa propre humanité. Certes, le retournement est un peu rapide et la conversion peu crédible. Mais de la même manière qu’il relira l’histoire par le théâtre dans To be or not to be, Lubitsch use d’un mélo ostentatoire pour répondre à l’obscurité croissante de son temps. On se fusille à coup de bouchon de champagne, on répond à la censure des mots par la gestuelle amoureuse et l’on fait des discours dans les toilettes d’un restaurant parisien. Le communisme est réduit à la métaphore d’une omelette (chacun contribue par son œuf), on parvient à rire des purges (« The last mass trials were a great success. There are going to be fewer but better Russians. ») et on pousse l’audace jusqu’à faire sourire le portrait de Lénine.
Pétillante comme le champagne auquel s’initie Ninotchka, la comédie pourrait comme lui s’éventer rapidement. Mais les temps troublés qu’elle colore lui donne une force mémorable, à l’image de celle de Chaplin dans Le Dictateur : celle du rire contre l’obscur, de la vie contre sa dénégation rampante.
Enivrée avant sa nuit d’amour, Ninotchka tient à un public imaginaire ce discours qui semble dans un premier temps une relecture du Lac de Lamartine :
“Comrades, people of the world. The revolution is on march. I know bombs will fall, civilization will crumble, but not yet, please. Wait, what’s the hurry ? give us our moment, let’s be happy.”
Mais en 1939, la prophétie terrible qu’il contient nous bouleverse bien au-delà du mélodrame.

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Sergent_Pepper
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le 11 juin 2014

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