Merveille(s) d'Italie
Que dire de ce film, si ce n'est qu'il représente un immense moment de bonheur. Parce qu'il dure 6 h et ne semble en durer que 2;parce que plus que tout autre ,ce film ne se regarde pas,il se...
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le 9 oct. 2012
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La vocation du blé en herbe est de devenir blé mûr, le temps de notre folle jeunesse de devenir celui de l'âge de la maturité, sans jamais renoncer à rien ou en tout cas de ne jamais rien oublier.
Les souvenirs ont ceci de particulier qu' ils nous appartiennent en propre et même si nous pouvons en partager certains ils ne sont jamais que des mémoires qui se croisent et se recroisent, se confortent et se réconfortent, ou parfois se trahissent.
J'ai le souvenir de la première fois où j'ai vu Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana (2003). C'était à l'automne 2003, un samedi après-midi au Saint André des Arts dans la rue du même nom au coeur du quartier latin à Paris. Nous étions une petite trentaine à faire la queue devant l'entrée, presque tous du même âge et de la même génération. Le film était diffusé en deux volets, l'un le samedi, l'autre le dimanche. Le lendemain, à la séance de la seconde partie du film, nous étions tous là, les mêmes, à nous serrer les uns contre les autres car il pleuvait et il faisait froid.
Les regards se croisaient, nous esquissions d'amicaux sourires sans nous connaître, ni nous reconnaître. Nous n'étions pas une foule anonyme qui se pressait dans une file d'attente ; nous étions devant ce cinéma-là, à cette séance-là pour voir ce film-là et nous devinions sans mal que nous étions les mêmes qui étaient revenus pour partager la suite de la vie de Nicola, de Matteo, Guilia et tous les autres.
Le cinéma en salle c'est cela également, c'est surtout cela d'ailleurs : une foule anonyme qui se rassemble comme si elle répondait à un appel, des hommes et des femmes qui ne se connaissent pas et qui communient un instant autour d'une histoire racontée. Ce sentiment est inversement proportionnel à la taille du cinéma et totalement absent dans un canapé sauf à avoir beaucoup d'imagination.
Avec un effet de surlignage plus intense qu'en littérature, le cinéma offre ses scènes et ses répliques qui justifient à elles seules tout un film auquel elles survivront dans nos mémoires. Dans Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana, il est un moment qui en est une illustration inoubliable.
« Maintenant que tu es heureuse, tu peux lui pardonner. » En elle-même, la réplique est une sorte de pierre angulaire du film qui le résume en partie mais surtout différencie un avant, d'un après. La réplique est d'autant plus prégnante qu'elle était en filigrane bien avant d'être sur les lèvres de Nicola.
« Maintenant que tu es heureuse, tu peux lui pardonner. » C'est ce que Nicola dit à sa fille Sara en parlant de Guilia qui avait préféré et choisi la clandestinité dans les rangs des Brigades rouges à une vie apaisée en famille. Quelques années de son existence se passeront en prison suite à une condamnation puis se prolongeront d'aménagements de peines pour adoucir sa vie.
Magnifique Guilia, pianiste par goût personnel, étudiante en mathématiques pour faire plaisir à ses parents et militante de l'opposition extra-parlementaire italienne par conviction. Magnifique métaphore pour exprimer le dilemme du mariage que le dialoguiste met dans la bouche de Sonia Bergamasco. Dilemme auquel les mathématiques doivent aider à trouver une réponse. Je cherche encore comment faire traverser en barque la rivière à trois couples mariés quand le loup ne doit jamais être seul avec la chèvre et la chèvre avec le chou.
Nos meilleures années sont la saga d'une longue amitié dans une fratrie et une famille aimante mais également entre deux frères et leurs amis fidèles. Elle commence dans les années soixante à la veille de la déflagration de l'année 1968 dont l'onde de choc traversera toute l'Europe et dont nous sommes à un titre ou un autre les héritiers. La saga de Mateo, de Nicola, de Guilia, de Giorgia et d'Andréa s'achève hier, aujourd'hui et demain, il est probable qu'elle coure toujours.
Mateo et Nicola sont à la fin de leur année universitaire, Nicola et ses copains se préparent à faire une virée en Suède où les filles sont si belles. Mateo en rupture d'études trouve un travail d'aide soignant/assistant de vie dans une institution psychiatrique et se voit confier la mission d'accompagner Giorgia, une jeune fille qui souffre de troubles psychiques et qui est « soignée » par électro-chocs. Il décide de soustraire la jeune femme aux charlatans qui prétendent la guérir ainsi et de l'aider à retourner dans sa famille.
Nicola diffère sa virée suédoise pour aider Mateo et Giorgia sans deviner encore que leur périple va déterminer son avenir professionnel. Etudiant en médecine, il deviendra psychiatre et un des hérauts de l'anti-psychiatrie naissante. A l'issue du même périple Mateo s'engage dans l'armée puis dans la police selon un cheminement intellectuel en contre-point avec l'air du temps.
Nous touchons là à un premier point fort du film. L'art du contre-point. Les personnages construisent des trajectoires de vie qui se croisent et se recroisent sans cesse avec l'état de la société italienne ainsi que les évènements qui lui sont propres en toile de fond. Cette société, ils en sont à la fois partie prenante et les contradicteurs les plus radicaux. L'extraordinaire densité du film de Marco Tullio Giordana réside en tout cela et les six heures que le réalisateur lui a consacrées ne sont pas du temps volé ou dilapidé.
J'en ai fait l'acquisition dès sa sortie en DVD ; je ne l'avais jamais revu avant aujourd'hui. Nos meilleures années de Marco Tullio Giordan était solidement ancré dans ma mémoire, mais je le gardais pour la bonne bouche. J'ai revu de multiples fois Nos plus belles années de Sydney Pollack avec Barbra Streisand et Robert Redford qui lui est antérieur de trente ans.
Troisième étagère en partant de la gauche et deuxième du haut, vers le milieu de la rangée. Vous ne pouvez pas les rater, ils se donnent la main et nous attendent.
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Créée
le 27 févr. 2023
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Ce film est simple et beau, comme le sont les plus grands chef-d’œuvres. Pendant un peu moins de 6 heures, il m' a fait ressentir un tourbillon d'émotions. Ce n'est ni plus ni moins que l'expérience...
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