Oliver Sherman par Patrick Braganti
Premier long-métrage de Ryan Redford, à peine 82 minutes, Oliver Sherman réussit à créer en quelques scènes un malaise palpable dont on se doute rapidement – c’est peut-être là sa faiblesse majeure – qu’il annonce le drame. Ce malaise, le vétéran Sherman Oliver, puisque tel est l’ordre exact de son identité, le porte en et sur lui. Blessé à la tête, sauvé in extremis par un autre soldat, perdu et solitaire, déconnecté des réalités, il part à la recherche de celui qui justement lui épargna la mort. Franklin Page est, en ce qui le concerne, passé à autre chose, en fondant une famille, lui et Irène ont deux enfants, et en exerçant une activité stable. Comment Franklin va-t-il réagir à la visite surprise de Sherman, portant en elle la résurgence d’un passé traumatique et presque secret qu’il s’évertue à tenir à distance respectable, tandis que Sherman, obsessionnel et instable, n’a de cesse de le ramener en arrière, de lui rappeler son geste héroïque et combien il lui en est donc redevable. Pour Sherman, mal à l’aise en société, la petite famille de Franklin représente un modèle qu’il finit par jalouser et menacer, un objectif qui semble inatteignable. Au fur et à mesure que la visite de Sherman se prolonge, ponctuée par ses escapades quotidiennes à la bibliothèque locale à parcourir des ouvrages sur la guerre, la tension s’accroît, mettant en danger l’équilibre fragile de Franklin, écartelé entre la véritable compassion qu’il éprouve pour son ancien condisciple et la nécessité vitale de sauvegarder ce qu’il a essayé de bâtir. Tourné dans le nord de l’Ontario, sous un ciel gris et lourd, Oliver Sherman est donc une œuvre sur la résilience impossible, l’incapacité à tourner la page et à s’extraire du passé terrifiant, dont on peut aussi penser que, au-delà même de la blessure reçue, il a transformé Sherman en l’amenant sur les terrains de la violence et du ressentiment. Si on peut regretter qu’une information du scénario donnée au milieu du film fournisse une indication trop prévisible sur l’issue, on ne peut en revanche que s’incliner devant le parti pris d’épure et d’ellipse qui participe largement à faire de l’ensemble une réussite qui vaut aussi par le jeu du trio d’interprètes, dont au tout premier chef Garret Dillahunt qui campe un Sherman fermé et opaque, équivoque et angoissant, à la seule force de son regard fixe et égaré. Le pire n’est sans doute jamais loin, mais un détail, une réminiscence, le souvenir d’une dette morale peuvent suffire à le détourner. Très tenu et resserré, le film brasse de nombreux thèmes et finit par sidérer le spectateur.