On A Volé Ma VF est un documentaire de Lucas Stoll qui dresse un portrait global, riche, pertinent et attachant du monde du doublage à travers d'innombrables thématiques et de très nombreux témoignages.
Sans être un intégriste et puriste absolu du truc, je dois reconnaître que je suis globalement bien plus team VOST que VF. Pourtant ma cinéphilie a été bercé par la force des choses par les versions françaises ne serait ce que par ma culture de vidéoclub avec des films uniquement disponibles dans des versions doublées, par toujours de manière très heureuse d'ailleurs. Et puis comme le souligne très justement le film de Lucas Stoll on reste toujours fortement attachés aux voix qui ont bercées notre enfance et notre adolescence notamment avec les séries télévisées et les dessins animées. Si encore une fois je regarde essentiellement les films et séries en VOST par respect pour les jeux des acteurs et le contexte culturel des œuvres, il m'arrive encore de regarder des films en VF par paresse les soirs de fatigue et surtout pour le plaisir des mauvaises VF plus-value incontestable de certains nanars. Mais au delà même de ces deux cas précis, j'aime certaines voix française, peut être encore plus que celles d'origine, et j'aurai du mal à regarder Les Simpsons autrement qu'avec les voix de Philippe Peythieu et Véronique Lecordier ou Die Hard sans la voix de Patrick Poivey. C'est ainsi que certaines répliques, certains films ou voix restent profondément ancrés dans la pop culture de par la VF et je suis sûr le simple fait d'écrire certaines répliques poussera celui qui les regarde à les lire avec l'intonation propre à la version française du "Adriannnnnn" de Rocky au "Je suis ton père" de L'Empire contre Attaque. Ce long voyage au pays du doublage et de la version française est donc déjà l'occasion de se plonger dans d'innombrables contradiction pour s'interroger sur les dogmatismes et les antagonismes VF VS. VOST pour constater qu'il n'existe aucunes règles immuables et que si certaines VF sont supérieures aux versions originales (Trintignant doublant Nicholson dans Shining), d'autres sont proprement catastrophiques à l'image des versions françaises des vieilles VHS locatives des films de la Shaw Brothers avec des doubleurs prenant des accents à la Michel Leeb.
On A Volé Ma VF est un documentaire dense qui aborde une telle multitude d'éléments et de questionnements que l'on regrette presque que le film ne soit pas décliné sous la forme d'une série afin d’approfondir et creuser encore plus les différents sujets abordés. Les origines du doublage, l'aspect technique, les questions de la fidélité et de l'adaptation, le travail de comédien, les différences entre doublage et création de voix, la reconnaissance du métier, les doublages de jeux vidéos … On a la sensation que chaque thématique et questionnement pouvait facilement occupé une heure d'investigation. Si le documentaire explore de nombreux aspects amusants comme le doublage de film pornographiques, les mauvais doublages ou la questions des accents à forte connotation raciste il revient aussi sur des questions plus douloureuses comme les répercutions toujours prégnantes de la grève qui secoua le métier au début des années 90 en divisant durablement les comédiens et comédiennes de doublage. Le documentaire de Lucas Stoll met également en lumière les aberrations du Star Talent, une technique qui consiste à utiliser pour le doublage de films d'animations des vedettes médiatiques (sportifs, chanteurs, animateurs, influenceurs ..) au détriment de doubleurs de métier afin d'assurer la promotion et l'aspect purement marketing du bousin sur des plateaux TV. Et puis forcément les doubleurs et artisans regardent avec fatalité les progrès technologiques de l'IA qui permet tout en conservant la voix original des comédiens de leur faire débiter leur texte dans toutes les langues possibles et ceci avec une synchronisation labiale parfaite et bien sûr des coûts de production divisés par dix. Lorsque cet IA aura définitivement remplacé nos bonnes vielles VF dans une prétendue perfection mécanique alors paradoxalement il n'existera absolument plus aucun intérêt à regarder un film autrement qu'en VOST. Si il n-y a plus d'imaginaire dans l'adaptation, plus d'apport de la par du doubleur et de sa voix, plus d'accidents de parcours… alors il n-y aura plus d'art ni d'âme dans l'exercice du doublage. Et c'est peut être aussi ça qui rend On A Volé Ma VF si attachant et émouvant c'est de voir toutes ces personnalités de l'ombre, solides et talentueuses, profondément humaines jusque dans la schizophrénie d'un métier dans lequel ils n'existent que par la présence physique d'un autre et qui semblent presque toutes et tous résignés à être des espèces en voix de disparition. Les gens de ma génération ont toutes grandis avec les voix mythique des ténors du doublage comme Roger Carel, Patrick Préjean, Micheline Dax, Gerard Hernandez, Alain Dorval, Pierre Tornade et tant d'autres célèbres ou inconnus. Les Muppets, Starsky et Hutch, Columbo, Goldorak resteront à jamais gravés dans un coin mélancolique de nos mémoires avec les voix françaises. Avec quelles voix grandiront les génération IA, et quels ordinateurs devront ils rencontrer dans les conventions des années 2070 quand ils rechercheront le souvenir des voix de leurs jeunes années ?
On A Volé Ma VF est un excellent documentaire qui certes n'exploite jamais assez en profondeur les trop nombreuses thématiques qu'il aborde mais qui permet de mettre magnifiquement en lumière une profession de l'ombre et ceci au moment de sa possible et imminente disparition. N'attendons pas qu'ils aient complètement disparu pour célébrer celles et ceux qui nous auront tellement fait rire, vibrer et pleurer en posant leurs voix sur les milles émotions possibles du cinéma.