Les années 30, la Grande dépression, le chômage, la misère, la faim. La Californie, la mer, les vagues, le soleil, une terre d'opportunité. Des dizaines de couples se pressent pour participer à un marathon de danse : plus de 1000 heures de danse, entrecoupées de pauses de 10 minutes. A la clé pour les gagnants : 1500 $ et pour les perdants l'assurance d'avoir des repas chauds tout le long du concours.


Tel des insectes tournoyant autour d'un lampadaires, une poignée de personnages va tenter d'exister, l'espace d'un instant, dans cette épreuve.
Il y a Robert, un jeu homme un peu candide, qui trouve une partenaire improvisée dans la personne de Gloria, jeune femme aussi belle que désabusée. A leur côté il y a un vétéran de la marine à la motivation sans faille, il y a aussi un couple d'acteurs ratés qui court après les promesses d'Hollywood... et puis il y a ce couple en attente d'un enfant qui interpelle et dérange Gloria.
Mais il y a surtout Rocky, l'animateur et organisateur du concours. Un faux-cul de première catégorie arborant un sourire de publicité devant le public tout en abusant de sa position de force auprès des candidats une fois de l'autre côté du rideau. Un type d'autant plus dérangeant qu'il est capable de vrai compassion, qu'il comprends la détresse, qu'il en a parfaitement conscience...


On achève bien les chevaux est un film terrifiant. Terrifiant par le réalisme qu'il s'en dégage, Sydney Pollack filme la misère au plus prêt et sans détour. Il entraine de manière lancinante, inexorable ses personnage jusqu'au fond du trou, que ce soit par la folie, par l'espoir ou par la douleur.
Les corps souffrent de ne jamais pouvoir se reposer. Les esprits souffrent de ne jamais pouvoir prendre du recul sur ce qu'il se passe, tel des zombies les personnages continuent, inlassablement, à danser parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, parce qu'au bout de tout cela il y a la promesse d'un lendemain meilleur.
La promesse... celle sur laquelle l'Amérique est bâtie, celle qui dit que tout le monde peut réussir, que tout le monde peut s'en sortir... mais qui dit aussi que les plus faibles seront sacrifiés.
Une Amérique dont Rocky, l'animateur, est le reflet, la voix, le visage.


Mais il n'y pas que la souffrance puisque tout ceci est avant tout un spectacle, il y a les participants mais il y a surtout le public.
Sydney Pollack remet sans cesse en perspective le calvaire de ses personnage avec le comportement du public. Un public qui cherche, lui aussi, à oublier ses problèmes et sa misère, un public qui s'attache sincèrement à ses danseurs favoris.
Les séquences d'humiliation n'en sont que plus dures à l'image des performance, souvent pathétiques, des candidats récompensés par quelques jets de pièces. Il y a aussi ce système de parrainage où les danseurs deviennent de relais publicitaires, des écriteaux vivants... ce système où l'humain s'achète et s'exhibe.
Dans tous ces moments la réalisation de Sydney Pollack reste sèche, âpre puis elle explose lors des Derby, cette épreuve qui réussit l'exploit d'être encore plus cruelle que le reste.
Une cruauté soulignée par une caméra tournoyante et un montage qui s'accélère. Plus que jamais la douleur et la détresse des candidats, noyées sous les cris du public, explose à la face du spectateur. Des séquences d'autant plus éprouvantes qu'elles semblent interminables... elles semblent aussi interminables pour nous, spectateur confortablement installé dans un fauteuil, que pour les participants au marathon.


On achève bien les chevaux parle donc de cette humanité aussi tenace qu'elle est répugnante, de cette humanité qui prend du plaisir dans le spectacle de la souffrance des autres. Un spectacle truqué, arrangé pour offrir le maximum d'émotion à son audience. Pollack explore toutes les facettes de ce thème, de façon presque maniaque pour un résultat aussi pertinent qu'il est douloureux. Le cinéaste entraîne son film d'une main de maître vers un final glaçant et désespéré.
Dans cette peinture cruelle et juste Sydney Pollack parle bien évidemment aussi de nous, de vous, de moi qui sommes spectateurs impuissants (impuissance subtilement soulignée par le tout dernier plan du film) face à cette souffrance qui dépasse de loin les pieds gonflés, les muscles meurtris, les articulations fragilisées... cette souffrance qui vient de l'âme.


On achève bien les chevaux est un film d'une noirceur totale précisément parce qu'il reste proche de l'humain, tout du long. 40 ans plus tard le constat de cette humanité abrutie par la misère et la souffrance, de cette humanité qui cherche à se consoler dans le sort de ceux qui sont pire qu'eux, reste le même. Preuve de la puissance d'un film universel.

Vnr-Herzog
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films coup de poing

Créée

le 3 avr. 2011

Critique lue 3.6K fois

71 j'aime

8 commentaires

Critique lue 3.6K fois

71
8

D'autres avis sur On achève bien les chevaux

On achève bien les chevaux
Sergent_Pepper
8

Danse avec les fous.

Quelle place accorder au divertissement en période de crise ? Dans quelle mesure le spectacle, censé panser les plaies ou offrir des chemins de traverse à la souffrance du réel, peut-il finir par...

le 7 févr. 2017

61 j'aime

On achève bien les chevaux
Kalian
10

"They shoot horses, don't they?"

Ou comment un marathon de danse dans la Californie de la grande dépression peut devenir un petit laboratoire de la condition humaine. Ou quand la magnificence de la réalisation, le talent...

le 29 sept. 2010

46 j'aime

On achève bien les chevaux
SanFelice
8

Trois petits tours, et puis...

Venez faire un tour de piste ! Vous tous, les affamés, les va-nus-pieds, les déchus de la grande Crise. En ce début d'années 30, venez traîner vos guêtres sur la poste. Venez tenter votre chance...

le 29 févr. 2016

37 j'aime

Du même critique

Le Bon, la Brute et le Truand
Vnr-Herzog
10

Citizen Kane ? Mon Cul !

Pourquoi ce titre provocateur ? Tout simplement parce que le film de Welles arrive systématiquement en tête de n'importe quel classement des meilleurs films de l'histoire du Cinéma lorsqu'ils sont...

le 12 déc. 2010

507 j'aime

87

Cowboy Bebop
Vnr-Herzog
10

Doux, dur et dingue

Oubliez tout ce que vous savez sur la japanimation (surtout si vous vous appelez Éric Zemmour), oubliez tout ce que vous savez des dessins-animés en général car "Cowboy Bebop" est une série tout à...

le 9 janv. 2011

410 j'aime

37