De Palma 3.0, ou le meilleur thriller sur les nouvelles technologies
Au cours d'une journée de travail un brin morose, l'envie m'a pris soudain de quitter le bureau un peu plus tôt que de coutume, et d'aller faire un tour à l'étrange festival qui me faisait de l'oeil depuis un bout de temps déjà, grâce à ses affiches affriolantes de films parfaitement inconnus.
Bref, j'avais jeté mon dévolu sur "Open Windows", les seules références à Hitchcock ou De Palma, avaient suffit par m'allécher, et ce malgré la moyenne un peu dégueulasse ici-bas (enfin bon personne ne l'a vu le film pour le moment, donc ça ne veut encore rien dire).
Malheureusement, c'est avec 10 minutes de retard que je débarque dans une salle déjà comble.
Alors petite pause :
Cette salle (la salle "500") du forum des images, a dans ses allées des escaliers hyper casses-gueules, car aux marches très étroites.
Ayant des chaussures très longues (je suis en stage en cabinet d'avocat, il faut bien être élégant), j'ai dû me frayer un chemin en adoptant une démarche de pingouin pour éviter la chute.
Le tout en étant cerné par des centaines de spectateurs trop concentrés sur un écran sur lequel se diffuse ce qui semble s'apparenter à des gros plans de la tête d'Elijah Wood (Vous savez, cet acteur qui a joué le rôle de l'homosexuel refoulé le plus célèbre dans une série de films avec tout un tas de nains et de créatures maléfiques qui se mettaient sur la gueule pendant de très longues heures).
Bizarre, vous avez dit bizarre ?
J'arrive à me trouver une place de clochard, au premier rang, à l'extrémité droite, et enfin je peux lever les yeux et suivre à mon tour le spectacle. Et là je me rends rapidement compte que le film est un plan-séquence sur un écran d'ordinateur, sur lequel s'ouvrent ou se ferment diverses fenêtres de tous les côtés(des webcams, des pages internet...), et qu'il faut donc tourner sa tête dans tous les sens pour réussir à suivre correctement l'action.
Autant dire que je suis mal barré, et dans de très mauvaises dispositions, à deux doigts du torticolis.
Après quelques minutes nécessaires d'adaptation, je finis par m'habituer au principe (nous sommes en fait sur l'ordinateur portable d'Elijah Wood) et à me fondre dans l'univers absolument délirant et personnel d'un réalisateur qui revisite le cinéma de De Palma (bien plus que d'Hitchcock finalement), à la sauce nouvelles technologies.
J'ai pris un pied dingue, parce que le film mange à peu près tout ce qui se tente dans le genre de nos jours sur les fameux méfaits du monde hyper connecté.
Je pense à un épisode de la saison 3 de Luther, à tout "Black Mirror", ou encore au très mauvais "Her", qui ont un traitement tellement premier degré et gonflant de la question, que voir enfin un film oser l'humour et le mauvais goût (sauce De Palma) à ce niveau-là, c'est incroyablement rafraichissant.
Soyons clairs, le film aura ses contempteurs qui fustigeront un scénario (en apparence) simpliste et bourré d'incohérences.
Mais il est tellement drôle, tellement original, tellement surprenant, qu'il serait très con de bouder son plaisir.
Surtout le film parvient à être vertigineux. Le parti-pris de refuser de filmer le réel directement, mais par l'intermédiaire de ces fenêtres d'un écran d'ordinateur, finit par faire le portrait d'un monde concrètement complétement déréalisé, où tout finit par se confondre et se mélanger, et se diluer dans une bulle numérique définitivement insaisissable... Et effrayante.
Parce que le héros (Elijah Wood qui n'a jamais été aussi bon, et qui est tout le temps à l'écran, puisque le réalisateur exploite ce principe absurde qui fait que lorsque l'on communique avec quelqu'un via webcam, on s'affiche soi-même sur son propre écran) sera aux prises d'un super hackeur (qui fait d'ailleurs très méchant de cartoon, avec ses supers serveurs de la mort qui lui permettent de contrôler le monde s'il le souhaite), qui va le pousser à traquer une super star de cinéma (interprétée par l'ex pornstar, Sasha Grey, qui s'avère être une superbe actrice !). Le vilain (interprété par le génial Neil Maskell, un autre choix formidable, puisqu'il était déjà un psychopathe de génie dans la série "Utopia", avec son accent britannique reconnaissable entre 1000) est omniscient, omniprésent, tout puissant, ça pourrait être ridicule, mais ici ça tourne rapidement au gag, tout en réussissant à être suffisamment malsain, dans la lignée des très bons films un chouïa érotiques sur le voyeurisme (le vilain a même mis à disposition du héros une caméra pour observer la façade d'en face, qui rappelle furieusement les quelques bonnes séquences d' "Hi, mom !" de De Palma).
On joue même avec les codes du cinéma, puisque cet antagoniste est comme le réalisateur (dans un premier temps) d'un film, et Elijah Wood l'acteur qui doit obéir à toutes ses directives, jusqu'à même utiliser des accessoires (certains vraiment délirants) déposés préalablement pour l'occasion dans les différents décors pour pouvoir exécuter un plan de plus en plus farfelu au fur et à mesure de la progression.
Bref c'est souvent n'importe quoi, ça part dans tous les sens, et c'est incroyablement riche et prenant.
Il y a également tout un jeu sur la manipulation, le renversement des rapports manipulé/manipulateur ( on a pas vu autant de twists depuis sexcrimes (je rigole)), un récit roublard (où beaucoup d'indices sont disséminés discrètement et intelligemment en amont) de la bonne musique, et un incontestable génie de la mise en scène.
Parce que le défi est monstrueux. La démarche n'a rien à voir avec le "Timecode" de Mike Figgis, dont le principe était d'avoir à l'écran 4 plan-séquences séparés via la technique du split screen. Il s'agissait pour le spectateur de se débrouiller pour suivre l'action qu'il souhaitait, ce qui à terme pouvait finir par être fatiguant.
Ici, le travail de réalisateur, s'apparente à celui d'un vrai chef d'orchestre, puisqu'il s'agit au sein de l'interface, de naviguer d'une fenêtre à l'autre tout en conservant la lisibilité de l'action.
Les fenêtres se multiplient, et il fait bouger la "caméra" d'un bout à l'autre de l'écran avec maestria, il élargit le champ, le réduit, zoom à l'intérieur des webcams comme pour mieux représenter la concentration du regard du héros sur un élément clé de l'image (et la résolution devient donc dégueulasse avec du bruit et des pixels), il s'éclate.
Un monde interconnecté donc, où tout peut arriver (le pire en général), où des invités surprises peuvent débarquer de nulle part (dont des hackeurs parisiens absolument hilarants), pour le plus grand bonheur d'un film virtuose, enthousiasmant, et même poétique.
En effet, le très beau final nous propulse dans un univers qui dérive de plus en plus vers l'abstraction, avec de nouveaux types de caméras, où les personnages ne sont ni vraiment réels ou virtuels, mais se fondent dans un mélange hybride.
Une sorte de poésie du pixel.
La question qui désormais reste en suspens : à quand la sortie de cette pépite ?