Dans La Bonne Année de Claude Lelouch, Lino Ventura nous dit choisir un film comme il le fait pour jeter son dévolu sur une femme : en prenant des risques. Un de mes bons amis me dit un jour que sa plus grande appréhension quand il doit choisir un film est de se faire avoir et que de ce fait il ne va jamais au cinéma. Je sais que ce n'est pas vrai ; il ne va pas au cinéma par avarice alors que Lino Ventura aime vivre dangereusement.
Il y a du Lino Ventura en moi et cela tombe plutôt bien car je l'apprécie beaucoup et j'ai toujours plaisir à le revoir dans nombre de ses films. Cet après-midi, j'ai donc choisi de m'offrir le grand frisson, de vivre un moment de consternation. Je suis allé voir cette chose qui parle du Portugal, en tout cas s'y réfère de manière incongrue. Vous l'avouerai-je ? Je savais où je mettais les pieds, j'avais vu le pitch du film ; les ringards auraient parlé de bande-annonce. Je ne suis pas ringard, enfin je le crois, je suis cinéphile.
Dès cette première approche, j'ai su. J'ai su que je ne prenais pas le risque d'assister à un grand moment du cinéma, de côtoyer une fine gâchette de la réalisation, un as du scénario à tiroirs ou quelques virtuoses de l'interprétation. Je savais que j'allais passer quelques longs et douloureux instants avec ce que le 7ème Art abrite de plus médiocre.
Je n'appréhendais que deux choses, le moment de devoir attribuer une note au film sur Sens critique et celui d'être contraint d' affronter votre regard terriblement muet mais si lourd de reproche. Sur une échelle de 1 à 10, cet organisme vous demande d'inscrire votre sentiment sur le film et je sais qu'il est parfaitement inutile de demander à sa direction de vous accorder, par dérogation exceptionnelle, quelques sous-sols vous permettant d'exprimer toute la finesse de votre analyse. Quant à votre regard pourtant habituellement plutôt bienveillant, je le devine déjà me faisant comprendre que je l'ai bien cherché et que je suis puni par où je me suis efforcé de pécher pour faire mon malin.
Dans cette aventure, j'ai pourtant rencontré un authentique talent, le don de celle qui a rédigé le synopsis. Elle a su résumer le peu qui restait quand le pire était passé sous silence pour ne pas vous faire fuir à toutes jambes :
« Hakim, 35 ans, sympathique flic de quartier d’origine marocaine, doit infiltrer la communauté portugaise pour les besoins d’une enquête. Mais peut-on devenir Portugais en trois jours ? Surtout quand on sait qu’en intervention Hakim est une catastrophe ambulante. Sa maladresse et sa malchance transforment ses nombreuses initiatives en cataclysmes. Le costume est clairement trop grand pour lui ! Rapidement pris au piège entre ses sentiments et sa mission, Hakim, qui vit seul avec sa mère, va découvrir une communauté, mais aussi une famille. »
Oui, vous avez bien lu. Opération Portugal est un film vaguement policier, donc forcément avec quelques policiers et logiquement avec quelques mauvais garçons, mais il n'est pas que cela. Il tient également un peu de la comédie, sans s'arrêter toutefois en si bon chemin, car il est aussi un film dans lequel l'amour d'une mère marocaine danse la salsa avec celui d'une jeune femme portugaise. D'une manière générale, l'humour se veut désopilant, sans temps mort et il est étonnant que personne n'ait jamais pensé à certains gags.
Hakim se trouve enfermé dans un camion frigorifique transportant du poisson et comme vous vous en doutez il a très froid. Pour ouvrir la porte de l'intérieur il décide d'uriner sur le mécanisme de fermeture pour le dégeler. C'est ce moment que le chauffeur choisit pour donner un violent coup de frein et ce qui devait arriver arriva. Hakim se trouve projeté contre la porte couverte de glace et son zizi se colle à la paroi. Et l'adhérence est d'autant plus forte qu'il est circoncis, ce qui, selon sa maman, n'arrange pas les choses.
Imaginez la tête du chauffeur ouvrant la porte et trouvant un policier collé par le sexe à la porte de son véhicule. Heureusement qu'un passant a un sèche-cheveux sur lui, à moins qu'il ne s'agisse du coiffeur voisin, pour que tout rentre dans l'ordre.
Les gangsters du film sont malins. Pour dissimuler la cocaïne que tout le monde cherche, ils l'ont conditionnée dans des sacs de ciment mêlés avec des sacs contenant du vrai ciment. Il fallait y penser. Par malheur ou par illettrisme, une erreur d'étiquetage a fait que les sacs de cocaïne ont été malencontreusement utilisés pour faire le mortier destiné à la réfection de l'escalier de l'église. Le curé qui passe beaucoup de temps à l'église sniffe malgré lui en permanence et en est tout déjanté du matin au soir. Il fallait oser.
La méthode de travail des deux scénaristes, qui sont également les dialoguistes et les adaptateurs avant que l'un d'entre eux ne devienne simultanément le réalisateur et le comédien principal du film, a l'air assez simple. On place la caméra, puis on crie, on court dans tous les sens, on rit fort et on multiplie les grimaces en disant un peu n'importe quoi. A la fin on met cela dans un chaudron, mais un simple faitout en aluminium peut faire l'affaire. Chauffer à 220° pendant 1 h 30. Inutile de touiller, il n'y aucun risque que cela attache, il n'y a que de l'eau et du vent.
Post scriptum
Je vous serais reconnaissant de ne pas insister davantage pour connaître le nom de l'autrice du synopsis. Elle m'a fait promettre la discrétion et la protection de son anonymat. Elle m'autorise simplement à vous dire que ce n'est pas de gaieté de cœur qu'elle a apporté sa contribution au film mais qu'elle a deux nourrissons et que les temps sont durs.
Elle ne souhaite pas que son nom soit associé au film car elle craint pour son réemploi futur pour s'être commise dans un moment d'égarement. En outre elle tient à vous faire savoir qu'elle fait acte de contrition et que les clins d'oeil qu'elle fait ne sont pas un gag de plus, mais un tic dont elle souffre depuis sa plus tendre enfance.