Parmi les avant-premières du Festival Cinéma d’Alès Itinérances, on a pu découvrir TADMOR, un documentaire inédit sur les prisons syriennes, évoquant l’enfer carcéral d’anciens détenus libanais
Après Massaker, un premier film sur Sabra et Shatila en 2004, les réalisateurs Monika Borgmann et Lokman Slim et leur équipe ont investi une ancienne école où ils ont reconstitué la prison de Tadmor (autrement appelé Palmyre), l’unes des plus dures de Syrie. Sept anciens prisonniers témoignent et racontent leurs années de détention (allant jusqu’à 14 années pour certains) pendant lesquelles ils ont été torturés et humiliés avec une cruauté inouïe. Face caméra au centre d’une pièce vide, ils évoquent certains de leurs sévices et les rituels sadiques quotidiens qui rythmaient leurs journées, la couverture trempée avec lesquels ils devaient se recouvrir après une douche bouillante, les cafards que les geôliers leur forçaient à avaler, les coups incessants. Et quand il n’y a plus de mots, ils miment les gestes et paroles de leurs tortionnaires jouant tour à tour les victimes et leurs bourreaux. Dans l’une des scènes, l’un d’entre eux devient fou et se met à hurler. On oublie alors un instant qu’il s’agit d’une reconstitution et l’on est sidéré devant ce visage au regard hagard.
Le procédé, certes risqué, fonctionne parfaitement même si parfois il dérange plus que ne bouscule. On ne peut s’empêcher de se demander comment ils sont parvenus à revivre l’insoutenable pour témoigner. Mais si l’on comprend bien l’intérêt cathartique d’un tel procédé, on se sent assez vite mis à l’écart de cet exercice qu’on ose croire thérapeutique. Certains plans sont néanmoins très forts comme ceux des visages de ces hommes contraints au silence, ou ceux où on les voit arracher des minuscules bouts de fil pour tenter de se fabriquer des cache-yeux pour dormir. Ils rejouent avec une telle vérité leur enfer qu’on a parfois l’impression d’être face à une performance d’acteurs. Et c’est peut être ça qui dérange. Là où l’on imaginerait ressentir toute l’horreur derrière leurs souvenirs racontés et « joués », on finit par devenir des témoins tenus à distance d’un récit qui ne semble plus s’adresser à nous. Dans S21 la machine de mort Khmère rouge, quand Rithy Pahn demandait aux gardiens de prisons de refaire les gestes qu’on leur imposait, notre imaginaire faisait le reste et on arrivait presque à voir les fantômes des prisonniers disparus. Et c’était extrêmement troublant et émouvant.
TADMOR reste malgré tout un film fort, nécessaire, et représente un véritable travail de mémoire autour de cet épisode syrien. C’est aussi un éloge à la force de vie que l’Homme est capable de déployer pour survivre à des conditions inimaginables. Le film a trouvé un distributeur récemment et devrait sortir sur les écrans français prochainement.
Par Anne Laure, pour Le Blog du Cinéma