Primé à Cannes, j'avoue être allé à reculons devant le film surtout après l'expérience ou plutôt les expériences — car il s'agit de deux choses très différentes — mitigées que furent Gerry et Elephant, surtout le dernier trop atypique et trop marqué d'une empreinte stylistique dont je ne renie pas la qualité mais qui n'a de prise sur moi et dont je pense qu'elle nuit à produire l'effet que devrait produire le film, à moins que ce ne soit pas là la question... [égarement]
Enfin oui, j'allais donc au devant de Paranoid Park avec la peur de la déception, la peur qu'une nouvelle fois Van Sant s'attelle plus à dérouler son panel d'effets, de bizarreries hypnotiques plutôt que de traiter son sujet. Mais Paranoid Park, et c'est vraiment un exploit en soi, réussit à combiner la qualité de l'étude de l'adolescence avec plus de sensibilité et de précision que son Will Hunting, tout en y ajoutant les effets, la symbolique, la lecture subliminale de son Elephant (exploitation sensitive fait de bruitages à vocations subliminales, bruits d'animaux sous la douche à peine perceptible dans le ruissellement de l'eau mais pourtant bien présents et brillamment utilisés !).
C'est donc une synthèse de Van Sant, de son recul, de son génie, d'une intelligence phénoménale quand il ne tombe dans aucun cliché pour asseoir la qualité de son propos, à savoir toujours le rapport de l'ado avec le monde, avec la question toujours posée du passage à l'âge adulte, qu'il se fasse par le sexe, par la violence d'un homicide ou par le contexte d'une guerre lointaine mais bien réelle et par de nombreuses reprises évoquée. Van Sant traite donc le sujet avec le regard de ses protagonistes, dépassés, attachants, étonnement complexes. À ce titre il est intéressant de noter que le rapport des enfants (car il s'agit bien d'enfants qui paraissent volontairement plus jeunes que ce qu'ils sont réellement) avec l'adulte sont strictement formels, les discussions banales, ennuyeuses, typiques aussi pour marquer leurs insignifiances.
Van Sant ayant bien compris que l'intérêt profond réside dans la psychologie ambiguë de l'adolescence, le rapport avec l'adulte étant réduit simplement à un lien avec ce que le monde a de plus ordinaire. Et quand il l' évoque avec gravité c'est de manière secondaire , le divorce, scène où le père s'excuse auprès de son fils, lui disant qu'il sera toujours là au besoin, cela en faisant son sac pour partir... Van Sant joue donc avec l'adulte présenté comme plus "enfant" que les enfants, ces derniers ayant des problèmes fondamentalement plus graves. Intelligent donc GVS a compris que pour marquer l'importance de son sujet et pour radicaliser son traitement, il y a une vraie violence psychologique et même physique dans le film, il faut le mettre en contraste avec un monde des habitudes, un monde de routine, de vie familiale, le monde des adultes, véritable paradis par opposition au chaos de l'adolescence présenté par le réalisateur, des ados victimes de leurs mondes, où la violence est banalisée, l'exclusion monnaie courante, des ados qui deviennent sans doute trop vite adulte à cause de l'ambiance dans laquelle ils vivent, en témoigne le désintérêt d' Alex pour l'histoire que lui conte son petit frère. Peut être pense-t-il à cette enfance perdue, cette insouciance qu'il ne connaitra plus, Paranoid Park est donc un éloge à l'innocence doublé une critique à l'égard de sa brièveté.
Van Sant semble tenir à son sujet, qu'il traite maintenant depuis quelques années, et de ce fait le fouille admirablement, mais toujours à la manière d'un artiste, son cinéma s'en trouve grandit exploitant tout ce qu'offre le 7eme art, l'image et le son ici au service du chef d'œuvre de son réalisateur, Paranoid Park achève une réflexion mêlant l'exaltation artistique des sens, comme une déclaration d'amour au cinéma, à une profondeur d'esprit que seul un cinéaste aussi accomplit et maître de son sujet pouvait prétendre équilibrer dans un film parfait de pertinence et de magie sensitive.