Bong Joon-ho, après avoir réalisé Okja, ambitieux projet Americano-Sud-Coréen, souhaitait revenir à une fiction plus modeste pour son nouveau film : Parasite. Ce long métrage brosse un portrait contrasté de la société coréenne en narrant l’immixtion d’une famille misérable au sein d’une famille fortunée.
Le premier plan du film, qui s’ouvre sur la fenêtre d’un entresol miteux donnant sur une ruelle crasseuse, oppose déjà deux espaces urbains : celui des riches, situé sur une éminence ; celui des pauvres, dans des bas-fonds. Ces deux espaces sont reliés par des pentes qui sont gravies sous le soleil au début du film, puis qui sont dévalées sous un déluge à l’approche du dénouement. Cet itinéraire symbolise la tentative puis l’échec d’une ascension sociale. Le trajet qui connecte ces deux milieux trompe la famille « parasite » qui croit pouvoir s’élever de sa condition. En fait, même lorsqu’ils travaillent pour les riches, les moins fortunés sont soumis à des frontières invisibles qui sous-entendent des limites relationnelles : un chauffeur doit rester à l’avant dans une voiture, un employé ne doit pas développer d’intimité avec son employeur. Un domestique est renvoyé de son emploie s’il franchit la « ligne de conduite » que ne cesse d’évoquer le père de la famille aisée, M. Park. Cette binarité est aussi mise en évidence par l’utilisation de couleurs plus chatoyantes dans le quartier aisé, plus sourde chez les « parasites ».
Parasite fait le récit d’une famille d’humble extraction qui entre progressivement aux services d’une maisonnée aveuglée par l’éclat de sa propre opulence. Cette crédulité bourgeoise est l’occasion d’user d’une tonalité satyrique acerbe : entre les expressions anglaises (« I’m deadly serious »), les propos comiques sur l’art-thérapie… Ainsi, les membres de la famille aisée apparaissent comme superficiel. Au contraire, dans la famille « parasite », chaque personnage gagne en profondeur, mais aussi en esprit de famille, grâce à leur précarité qui les force à développer leur ingéniosité : la pauvreté enrichit leurs personnalités.
L’infiltration des personnages démunis dans ce monde luxueux se fait par la tromperie rappelant le comique farcesque de Molière dans lequel les maîtres, souvent niais, sont dominés par leurs valets. Le film en est réjouissant car Bong Joon-ho, fidèle au cinéma coréen, mêle les genres avec dextérité : thriller, comédie, drame. Malgré ce foisonnement, l’œuvre demeure parfaitement équilibrée, témoignant de la maîtrise de son réalisateur. Maîtrise qui se ressent aussi dans le rythme de la narration. Par exemple, lorsque c’est au tour de la mère « parasite » d’obtenir un emploi dans la famille aisée, alors que trois personnages y sont déjà devenus domestique, le spectateur n’est aucunement ennuyé, au contraire, il est enivré. Car le film parvient à se renouveler sans cesse, ici, en narrant, à l’aide d’un montage elliptique et dense de six minutes, l’exécution d’un plan ingénieux qui aboutit au renvoie de la gouvernante permettant le recrutement de la mère. La virtuosité de de la réalisation de Bong Joon-ho dans cette séquence répond à la maîtrise complète que la famille « parasite » exerce sur la famille aisée.
Cependant, ce merveilleux ballet est bien plus qu’un divertissement. Alors que le spectateur accompagne la famille « parasite » dans son appropriation de l’espace, ils se heurtent à une soudaine révélation qui renverse tout ce qui était établit.
Ce qui détruit la position de la famille protagoniste, c’est la présence d’autres personnages d’encore plus basse extraction, d’autres « parasites », qui désirent leurs emplois. Ainsi, la société coréenne, où apparaissait déjà une fracture profonde entre riches et pauvres, se trouve-t-elle aussi divisée au sein même de la précarité. D’indirect et dissimulé par les apparences, le conflit devient frontal et violent. En fait, loin de s’unir pour détrôner les plus aisés, les « parasites » veulent surtout devenir riches comme en témoigne leur attitude lorsqu’ils s’approprient la demeure de leurs employeurs qui se sont absentés.
Cependant, malgré leur ingéniosité, ces « parasites » ne peuvent complètement se mêler à la haute société car ils sont toujours trahis par leur odeur qui dégoûte les nantis et qui incarne, par une ironie cruelle, le mépris de classe. Une double fracture de la société coréenne traverse Parasite, celle des riches et des pauvres, celle des pauvres entre eux. Et cette fragmentation de la société qui s’intensifie aboutie au massacre cathartique de la fête d’anniversaire. Apothéose témoignant de la détresse des miséreux face à un monde qui les méprise.