Un chef-d'œuvre magistral sur les inégalités sociales et la lutte des classes

(9.5/10)

Sorti en 2019 et réalisé par le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho, Parasite a marqué l'histoire du cinéma mondial, devenant un véritable phénomène culturel. Premier film sud-coréen à remporter la Palme d'Or à Cannes, suivi de quatre Oscars, dont celui du Meilleur film, Parasite s'impose comme un chef-d'œuvre indiscutable. À la fois thriller, comédie noire et satire sociale, le film explore avec une profondeur saisissante et une maîtrise narrative remarquable les inégalités sociales à travers le prisme de deux familles, les Kim et les Park, aux extrêmes opposés du spectre économique.


Parasite brille par la richesse de son scénario, la finesse de sa réalisation, et son habileté à capturer les injustices du monde moderne sans jamais tomber dans la moralisation simpliste. Bong Joon-ho tisse une toile complexe de thèmes sociaux tout en maintenant un suspense haletant et une tension croissante qui laissent le spectateur captivé du début à la fin. À travers une série de métaphores visuelles, un jeu d'acteurs exceptionnel et des rebondissements inattendus, le film expose la réalité cruelle des inégalités de classe et la manière dont elles façonnent les relations humaines.


L'une des forces majeures de Parasite réside dans la manière dont il développe son intrigue. À première vue, l'histoire semble simple : la famille Kim, vivant dans la pauvreté, trouve un moyen astucieux d'infiltrer le foyer aisé des Park en se faisant passer pour des domestiques et des enseignants qualifiés. Toutefois, sous cette apparente simplicité se cache une exploration profonde des dynamiques de pouvoir et de domination dans la société moderne.


La famille Kim, composée de Ki-taek (le père), Chung-sook (la mère), Ki-woo (le fils) et Ki-jung (la fille), vit dans un semi-sous-sol exigu, symbolisant littéralement et métaphoriquement leur place au bas de l’échelle sociale. Ils peinent à joindre les deux bouts, rêvant d’une vie meilleure, mais les opportunités leur échappent en raison de leur condition. Leur plan d'infiltration chez les Park n'est pas seulement un acte de survie, mais aussi une forme de revanche contre un système économique qui les a piégés dans une spirale de pauvreté.


Le scénario joue habilement avec les codes du thriller et de la comédie noire. Les dialogues sont vifs, souvent drôles, mais ils cachent une violence sous-jacente qui ne cesse de monter en intensité. Chaque interaction entre les personnages est chargée de tension, et le film fait preuve d'une grande maîtrise dans l'utilisation de l'ironie et du non-dit pour créer une atmosphère de malaise croissant. La manière dont la famille Kim réussit progressivement à prendre le contrôle du quotidien des Park tout en maintenant une façade respectueuse de domestiques dévoués est à la fois captivante et troublante.


Cependant, ce qui commence comme une comédie satirique bascule progressivement dans un drame tragique. La véritable habileté de Bong Joon-ho réside dans sa capacité à jouer avec les attentes du spectateur. Le film ne se contente pas de montrer un conflit classique entre riches et pauvres ; il montre également comment ce conflit est exacerbé par la société capitaliste qui pousse les individus à se battre pour des ressources limitées, souvent de manière violente. Le twist majeur du film – la découverte du bunker secret sous la maison des Park – est une métaphore brillante des luttes cachées qui existent sous la surface d'une société en apparence ordonnée.


Les personnages de Parasite sont au cœur de la réflexion sociale du film. La famille Kim, bien qu’attachante dans son ingéniosité et son unité, incarne la précarité et la ruse nécessaires pour survivre dans un système qui les opprime. Ils sont des « parasites » dans le sens où ils dépendent des Park pour leur subsistance, mais le film soulève la question suivante : qui est vraiment le parasite ?


Les Park, quant à eux, sont riches, mais d’une manière détachée et insensible. Ils ne sont pas présentés comme malveillants, mais plutôt comme profondément ignorants des réalités de ceux qui travaillent pour eux. Mme Park, en particulier, est un personnage symbolique de cette indifférence de la classe aisée. Naïve et dépendante, elle est incapable de se débrouiller sans l’aide des autres, tout en maintenant une distance sociale rigide avec ses employés. M. Park, quant à lui, incarne le mépris implicite de la classe dominante envers les travailleurs. Son commentaire récurrent sur l’odeur de Ki-taek devient une métaphore centrale de la manière dont les classes dominantes perçoivent les pauvres comme fondamentalement différents et inférieurs.


L’une des scènes les plus poignantes est celle où, lors de la fête d'anniversaire du jeune fils des Park, les membres de la famille Kim sont utilisés comme des accessoires pour le divertissement des riches, dans une reconstitution macabre des inégalités sociales. Cette scène montre de manière frappante la manière dont les riches traitent les pauvres comme des outils, sans reconnaître leur humanité. Le film devient alors une critique acerbe de la manière dont le capitalisme moderne crée des fossés infranchissables entre les classes sociales, tout en maintenant l'illusion d'une coexistence pacifique.


La réalisation de Bong Joon-ho est l'un des points forts incontestables de Parasite. Chaque plan est soigneusement conçu pour illustrer la dynamique de classe et les tensions sociales. La maison des Park, avec ses lignes épurées et son architecture moderne, représente un espace de privilège et de confort, tandis que le sous-sol exigu des Kim symbolise leur condition opprimée. La verticalité des lieux, du sous-sol des Kim à la colline où se trouve la maison des Park, reflète littéralement la hiérarchie sociale que le film dépeint.


Les escaliers jouent également un rôle symbolique central dans le film. Ils représentent le fossé entre les deux mondes : les Kim doivent sans cesse monter et descendre des escaliers, que ce soit pour accéder à la maison des Park ou pour retourner dans leur sous-sol. Cette image récurrente des escaliers devient une métaphore du parcours de la classe inférieure, toujours en mouvement, mais incapable de véritablement atteindre le sommet.


Bong Joon-ho utilise également des éléments visuels et des motifs pour souligner les contrastes entre les deux familles. La lumière, par exemple, joue un rôle crucial dans la mise en scène de la dynamique de classe. La maison des Park est baignée de lumière naturelle, reflétant leur mode de vie aisé, tandis que le sous-sol des Kim est sombre, confiné et oppressant, rappelant leur lutte quotidienne pour la survie. Cette dichotomie entre la lumière et l'obscurité symbolise les inégalités sociales flagrantes qui séparent les deux familles.


Un autre motif récurrent dans Parasite est l'eau, qui devient un symbole puissant des catastrophes sociales. Une scène marquante est celle où une pluie torrentielle inonde le sous-sol des Kim, les forçant à évacuer leur logis exigu pour se réfugier dans un gymnase bondé avec d'autres familles démunies. Ce déluge symbolise l'écrasante force des circonstances sociales et économiques sur la classe inférieure, tandis que pour les Park, la pluie n'est qu'un phénomène naturel agréable, qui rafraîchit l'air avant leur fête. Ce contraste poignant illustre la manière dont la même situation peut être vécue différemment selon la position sociale.


La manière dont Bong Joon-ho utilise la caméra pour raconter l’histoire est également impressionnante. Les cadrages, les mouvements de caméra fluides et les transitions entre les scènes renforcent constamment les thèmes de l'inégalité et de la lutte des classes. Il n’y a jamais de moments superflus ou de détails inutiles dans la mise en scène. Chaque élément visuel, chaque détail de décor ou de placement des personnages contribue à la narration subtile du film. En cela, Parasite se révèle être un film profondément visuel, où les images parlent aussi fort que les dialogues.


Le casting de Parasite est absolument remarquable, et les performances des acteurs contribuent de manière significative à la puissance émotionnelle du film. Song Kang-ho, acteur fétiche de Bong Joon-ho, livre une performance saisissante dans le rôle de Ki-taek, le patriarche de la famille Kim. Son interprétation est empreinte d’un mélange de résignation et de dignité, tout en laissant transparaître une colère silencieuse face à sa condition de dominé. Ki-taek est un homme qui, bien qu’intelligent et débrouillard, ne parvient jamais à sortir du cycle de pauvreté dans lequel il est piégé, et Song Kang-ho incarne cette fatalité avec une subtilité bouleversante.


Cho Yeo-jeong, dans le rôle de Mme Park, incarne avec brio la légèreté insouciante de la classe aisée, déconnectée des réalités des plus pauvres. Son personnage est à la fois sympathique et tragiquement aveugle à ses privilèges, ce qui rend son interprétation d'autant plus efficace. Lee Sun-kyun, qui joue le rôle de M. Park, complète ce tableau avec une performance qui dépeint le mépris inconscient des élites, ajoutant une tension palpable à chaque scène partagée avec Ki-taek.


La jeune génération des deux familles est également bien représentée, avec Choi Woo-shik et Park So-dam, qui interprètent respectivement Ki-woo et Ki-jung. Leur alchimie en tant que frère et sœur arnaqueurs est palpable, et leur capacité à naviguer entre la comédie et le drame renforce la complexité de leurs personnages. Ils incarnent la génération sacrifiée par un système qui promet l'ascension sociale tout en rendant cette promesse inaccessible.


Ce qui rend Parasite particulièrement brillant, c’est la manière dont il aborde des thèmes complexes tels que l'injustice sociale, la lutte des classes, et la précarité économique, sans jamais tomber dans le manichéisme. Bong Joon-ho ne présente ni les riches ni les pauvres comme totalement bons ou mauvais ; au contraire, il montre comment le système économique et social force les individus à agir de manière égoïste et à s’exploiter mutuellement.


Le titre même du film, Parasite, peut être interprété de plusieurs façons. Il fait bien sûr référence à la manière dont la famille Kim s’infiltre dans la vie des Park pour survivre, mais il suggère également que les riches, en profitant du travail des classes inférieures, sont eux-mêmes des parasites. Le film souligne que dans une société capitaliste, tout le monde dépend de quelqu’un d’autre, et cette dépendance crée des tensions inévitables.


Bong Joon-ho pose la question suivante : dans une société qui valorise la richesse et le succès individuel, qui est le véritable parasite ? Les pauvres qui luttent pour survivre dans un système injuste, ou les riches qui prospèrent grâce à l’exploitation des plus vulnérables ? Cette question, laissée sans réponse directe, est l'une des raisons pour lesquelles Parasite est un film aussi fascinant et inépuisable dans ses analyses.


Le troisième acte de Parasite est un tour de force en matière de tension narrative. La montée de la violence est aussi inattendue que dévastatrice, et elle sert à souligner l'explosion des tensions sociales qui bouillonnent tout au long du film. L’anarchie qui éclate lors de la fête d’anniversaire des Park est le point culminant de cette lutte des classes, et l’acte final de Ki-taek, poignardant M. Park, symbolise la révolte ultime des opprimés contre ceux qui les dominent.


Cette fin tragique et brutale contraste avec le ton plus léger des premières parties du film, mais elle est en même temps inévitable. Bong Joon-ho montre ainsi que dans une société profondément inégalitaire, la violence et le chaos sont toujours présents en arrière-plan, prêts à éclater à tout moment. Le rêve de Ki-woo, exprimé dans les dernières minutes du film, d'acheter la maison des Park pour libérer son père du sous-sol où il est piégé, est un rappel cruel de l'impossibilité d'échapper à la structure de classe rigide. Le rêve d'ascension sociale reste inatteignable, un mirage dans un désert de promesses non tenues.


Parasite est un chef-d'œuvre incontestable du cinéma moderne. Bong Joon-ho livre une œuvre magistrale qui transcende les frontières du cinéma coréen pour s'imposer comme une satire universelle sur les inégalités sociales. Grâce à une mise en scène méticuleuse, des performances d’acteurs inoubliables et une réflexion aiguisée sur la lutte des classes, Parasite parvient à capturer les injustices d’un système économique mondialisé tout en offrant un thriller captivant et palpitant.


En abordant des thèmes aussi puissants avec autant de subtilité et de nuance, Parasite n'est pas seulement un film qui divertit ; c'est une œuvre qui interroge, qui provoque, et qui reste avec vous longtemps après le générique de fin.

CinephageAiguise
10

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il y a 4 heures

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