"Seigneur, ne leur pardonnez pas, car ils savent ce qu'ils font"

C'est frappant à quel point l'épitaphe qui ouvre le barré (et excellentissime) Sheitan de Kim Chapiron (sorti un an avant Pardonnez moi ), est pertinente appliquée au premier long de Maïwenn tant ce titre semble lui répondre directement et piteusement malgré un avertissement sans détour. Plusieurs passerelles d'ailleurs rassemble ces deux films (même hystérie ambiante, même utilisation décalée de la musique, même scénario minimal en forme de cauchemar éveillé), symptomatiques d'une époque où les auteurs, le genre et les paris intéressaient encore la France (la pays et le cinéma). 12 ans, 2 films, une trouzaine de clips et 4 épisode de Guyane plus tard, Chapiron semble développer une filmo conséquente, patiente et exigeante (sur laquelle il faut se précipiter). Quid de la discrète mais radicale Maïwenn ? Pardonnez moi propose un testament à l'envers, une lettre ouverte flippée et bancale, mais pas moins fascinante à vivre puis à décortiquer. Je viens de découvrir l'auteure et m'apprête à suivre le reste de sa filmographie… avec la plus grande attention.
Violette va tout filmer. C'est décidé : son mari, son père, ses amis, tout, tout le monde, tout le temps. Pourquoi ? Là, c'est la fin du synopsis.
En effet, d'une durée d'1h20 environ et écrit à minima, Pardonnez moi opte plus pour le parcours psychologique que le scénario classique. Bien sûr, il y a un fil rouge, un climax et une fin. Mais le film semble plus régi par les sautes d'humeurs de Maïwenn l'actrice et Maïwenn la réalisatrice et n'obéir à aucune contingence de narration essentielle. Des fois c'est très couillu et satisfaisant, comme quand elle nous plante de force le nez dans des repas de famille malaisants, des fois c'est très hasardeux et un peu ennuyeux comme au début de l'intrigue du "nouveau père" (spoil esquivé). Difficile en effet, de savoir par où commencer avec Pardonnez moi, tant il est une pulsion, une extension d'un corps qui éprouve un besoin compulsif de création, d'expression. Maïwenn passe un deal avec le spectateur ; un film contre une vérité. Ceci fait, elle semble soudain tanguer, hésiter, s'élancer pour repartir en arrière. En fait, ce contrat, ça la gêne ; qu'est-ce qui relève du personnage ? De l'authenticité ? Où s'arrête le documentaire ? Le réalisme est-il un échec ? Plus que des questionnements, une véritable obsession, autant pour la réalisatrice qui, dans des cadres pixelisés, trop serrés, traque l'imprévu mais se retrouve inévitablement dans les griffes du superficiel (de ce qui a été crée pour le film) et pour l'actrice, qui provoque, enflamme et bouffe le cadre avec moult cris et excentricités. Un véritable pugilat où la première cherche la pertinence et la cohérence quand la seconde riposte en cherchant le sens de cette quête du réalisme ainsi que son prix (sur le moral, sur l'entourage). Une balade dans un esprit bipolaire où l'artiste et l'enfant (l'un droguant l'autre) s'entredéchirent. En gros.
Ce film est l'expression d'une souffrance, car de son aspect autobiographique (encore flou en ce qui me concerne) à la responsabilité qu'il apporte, Maïwenn/Violette semble indécise concernant ce qu'il faut garder pour soi et ce qui doit être libéré dans la nature. C'est frontal donc, sans mesure, et par conséquent plutôt dur.
La peur qui sous tend le film, qui relie chaque coutures de cette vie brisée entre elles, pousse Maïwenn a ne finalement jamais commencer Pardonnez moi ; en fait, c'est tout les films qui sont une souffrance pour la réalisatrice (à l'image de ces posters trop grands sur les murs qui sortent toujours des cadres), tant l'héritage semble lourd, tant il semble vain de créer et d'exister avec un monde si vaste autour de soi. Une angoisse artistique autant qu'un trauma psychologique fascinant, empaquetés dans une forme cohérente. Grâce à deux caméras (l'une fictive, l'autre effective), des champ contrechamp font discuter le faux et le vrai. L'inconfort que crée Violette dans son entourage, c'est celui de la réalité (et non plus la "vérité"), dans un monde où cette dernière n'est plus remise en question, où des codes la font exister sous une forme établie, et ce, encore une fois, autant dans la société qu'au cinéma.
Vous commencez sûrement à comprendre que le film est un grand vertige méta sur la capacité vampirique du cinéma, l'horreur de la réalité intrusive dans le monde du studio confortable. Sauf qu'à fonder un film sur des bases auto citationnelles en permanence (certaines répliques sont presque de l'auto description ironique), on perd en véritable implication émotionnelle ce qu'on gagne en force de frappe théorique. Pardonnez moi ne s'incarne pas dans la chair mais dans le plastique d'une poupée Barbie. C'est une intention, bien sûr, de donner des coups de cerveaux qui remueront étrangement les tripes. D'ailleurs, le film ne respire jamais l'égocentrisme (Maïwenn, actrice et réalisatrice amateure joue une actrice réalisatrice amateure incomprise) mais l'introspection en forme d'ouragan, le tabula rasa sans pitié pour ne souffrir qu'une fois pour toute. Et pourtant…
Il manque définitivement quelque chose. Peut être sont-ce les énormes ambitions, l'esthétique minimaliste mais radicale, la palette de jeu parfois variée, parfois figée, l'ironie grinçante balancée comme si le second degré venait de naître… Toujours est-il que ça respire le "premier film", tiraillé entre la fresque totale et la pudeur de bon goût. Pardonnez moi ressemble à une sorte d'excuse, de demande polie pour entrer dans le monde du cinéma (le titre prend tout son sens). Là encore, cohérence : Violette et Maïwenn sont toutes deux désespérées d'avoir capturé la réalité de gens qui, malheureusement, est forcément superficielle, la faute à la caméra qui leur colle au corps. Son combat est vain, son film est une question après l'autre, et elle n'est ni la première ni la dernière. Maïwenn en est consciente et opère ainsi un violent auto dépucelage, pour dégraisser ici et maintenant son œuvre globale de pathos et de remise en question incessante. Souffrir une fois pour toute, exactement…
Cette quête retournant le cerveau se délite alors, s'effondre sur elle même dans les larmes et les (trop de) cris puis la résignation : finalement, c'est l'histoire bien banale d'une fille seule, et c'est triste… Mais alors quoi Maïwenn ? Ta cohérence obsessive castre la sincérité de tes personnages, soit. Tu nous prouves que tu en es consciente en abandonnant toi même (en tant qu'actrice, donc physiquement) la partie, d'accord. Mais nous, où sommes nous ? Cette réalité multiple (plutôt que les vérités obscures) que tu dis être inexistante, n'est-elle pas ce socle commun où le spectateur doit se rattacher pour se (re)connaître ? En la brisant pour arrêter le film/les questionnements, tu nous a simplement privé d'apporter nôtre réponse. Je ne suis pas sûr, à ce stade, d'avoir bien interprété le film, son fond très touffu étant assez galère à défricher (déjà que vous avez lu en biais cette critique…) Je trouve que Pardonnez moi est impossible à s'approprier, trop personnel et pas assez investi du rêve de cinéma pour véritablement être… un film. Tout simplement.
Fascinante œuvre théorique autant qu'un cas d'école de premier film pas assez incarné (traitant plus un propos que des personnages où un univers), Pardonnez moi n'a cependant rien d'horripilant. Il est raté par certains aspects, mais il est assumé comme tel, dans toute sa grandiloquence, tout son mordant anarchique. Jusqu'au boutiste, l'expérience a le mérite de révéler Maïwenn, sympathique chieuse et empêcheuse de tourner en rond, brûlante et rentre dedans. Une femme, un personnage et une artiste qui a peut être titubé mais ne peut qu'entamer une belle course désormais.
T'inquiète pas va ; tout est pardonné.

JeVendsDuSavon
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le 11 août 2018

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