Sylvain George nous plonge dans un Paris en noir et blanc. Un Paris fait de révolte, de douceur, de silence et de joie.
Des trouées blanches, des gouttes métamorphosées en biseaux par un effet d’optique, des lumières qui crépitent et font résonner les artifices comme autant de coups de fusil. Voilà par quoi s’ouvre le poème expérimental PARIS EST UNE FÊTE, titre aussi du livre d’Hemingway redevenu un succès après les attentats de Paris et nom initial du Nocturama de Bonello. Présenté comme une œuvre en 18 vagues, c’est un raz-de-marée d’images, soufflées comme autant de successions roboratives, établissant un palimpseste virevoltant de plans frappants. En ressort un précipité d’insurrections, de révoltes douces, subies ou belliqueuses qui débordent jusque dans la réalisation même du cinéaste.
Comme dans Qu’ils reposent en révolte, un des premiers films de Sylvain George, le motif des mains, adamantines, meurtries, tapies dans la robe décousue de la nuit ou recouvrant un visage est un élément formel charnière du film. Les doigts et les paumes sont souvent les garantes de l’identité des individus, les liants de la communauté (idée chère à Georges, que ce soit celles des images, des sons ou des hommes).
Photo du film PARIS EST UNE FÊTE
Comme toujours chez ce réalisateur, le corps du film est moulé dans un noir et blanc carbonisé fait de la matière même de la nuit. Désorienté, rendu à l’ombre de la camera obscura, se construit un espace immatériel, abstrait, proprement cinématographique dans lequel loge ceux que le cinéma des grandes formes classiques n’accueille pas, ou sinon de manière policée/policière : les immigrés, les insoumis, les insurrectionnels patentés.
Dans la confusion par les formes et le montage des végétaux et des corps humains, comme chez Terrence Malick mais sous d’autres lunes, il y a presque quelque chose d’animiste à l’œuvre. Cette traversée délirante d’un champ de tournesols en pleine nuit, composant un défilé en fondus enchaînés de soleils ténébreux, accompagné de riffs de guitares et de cris de hyènes, élabore une cosmogonie décharnée mais troublante. A contrario, le bruit des voitures et des mécaniques urbaines chevillés aux intonations accentuées d’hommes et de femmes composent une mélodie du film bicéphale et imbriquée, double mais unie.
« Une virée à tombeau ouvert dans le Paris au lendemain des attentats. Un brouillon fiévreux. » CLICK TO TWEET
Le tout se livre dans un format 1:33, donnant aux cadres l’apparence de photos vivantes. Se dégage aussi une impression spectrale d’être parfois chez Georges Franju, noircie plus encore par l’ancrage approfondi du réel dans la carne des images. Mais plus encore qu’au cinéma fantastique et documentaire français, c’est au journal expérimental de Jonas Mekas que le film, et le travail de George en général, se réfèrent.
Perlent de ce maëlstrom des récits poignants. Tel celui de cet africain immigré, beatboxer doué, passé par le Mali, le Burkina Faso, l’Algérie, le Maroc et l’Italie. La présence, au cœur du film, d’une stèle en hommage à Bouna et Zyed, ces deux enfants morts poursuivis par la Police, dit combien le film tient sur le squelette d’une idée politique impérieuse et, plus particulièrement, d’une insurrection fière et tenace. A ces deux instants notables, s’agglomèrent des plans édifiants qui éclatent le cours enfiévré du montage. Comme cette femme voilée, assise en position de mendicité sur le trottoir à côté d’une devanture Kenzo. L’ensemble se clôt sur la confrontation d’une jeunesse contestataire sous la houlette de Nuit Debout face aux forces de l’ordre (sans éviter les poncifs du genre : “Liberté !” scandé à plein poumon ; les flics assimilés à des nazis).
Persiste le sentiment malheureusement tenace que la construction expérimentale est établie au fil des contingences du tournage et que le tout se fond dans une inspiration qui manque de tenue générale, de projet formel global et donne le sentiment que tout a été mis bout à bout par défaut et que chaque séquence répond non pas à une logique du sens mais à un exercice de sensations, à de l’expérimentation justement. Contrairement à Picasso qui défendait : “Je ne cherche pas, je trouve”, George semble appliquer l’inverse.
Par Flavien Poncet pour Le Blog du Cinéma