Paris Texas, c’est l’existence d’un terrain vague au milieu de nulle part, une contrée vide de vie qui ne demande qu’à reconstruire les péripéties d’un passé lointain et oublié. Derrière un accord folk caverneux, on aperçoit non sans mal, une Amérique sur les rotules, ce bitume qui coupe avec parcimonie une immensité désertique et non fertile qui renferme sur elle-même d’innombrables secrets tout en servant d’échappatoire à l’anonymat. Avec cette ambiance atmosphérique et ce paysage désenchanté, tel un western où le cowboy aurait baissé les armes avec peur et avec reproche, l’œuvre de Wim Wenders compte de magnifiques similitudes avec le cinéma de Jim Jarmusch.
Paris Texas, c’est l’histoire d’un couple, une juxtaposition d’un même visage qui au fil du temps, s’égratigne, pour ne plus pouvoir se regarder les yeux dans les yeux, une étincelle qui s’embrase pour ne retenir qu’une fumée séparatrice. Une humanité qui ne dort plus, une errance qui observe l’étendue inaccessible par le biais de jumelle presque divinatoire, qui n’arrive à se parler que par miroir interposé ou par enregistrement audio/vidéo. Une honte, une image de soi même affectée. La peur de ne pas affronter la peur. Tout est une question de mémoire, et la peur de revoir resurgir des souvenirs, de contempler avec douleur cette violence de la routine amoureuse qui perpétue la désintégration d’un bonheur exceptionnel.
Sous une casquette rouge, derrière une mèche blonde, il y a une tempête sous un crane, une ébullition de sentiment qui implose jusqu’au mutisme et l’amnésie quasi inébranlable. Le récit initiatique d’un homme qui essaye de retrouver l’horizon, de reconstituer le puzzle d’une vie, composée d’un passé et d’un futur. Paris Texas, c’est une distance qui sépare psychologiquement deux êtres aimés dont la culpabilité fait rage, une multiplication des non-dits autour d’un enfant qui ne sait plus très bien dans quel foyer habiter. Avec ses rares personnages, mais terriblement concrets, Wim Wenders parle de la notion de famille, de cette idée d’appartenir à une attache, de fonder sa propre existence par l’interstice de l’imaginaire, de sentir les bras chaud et ferme d’une mère éloignée.
Paris Texas, c’est aussi un recueillement, un road movie existentiel aux affinités arides comme l’était Dead Man, avec une perpétuelle question : qui sommes-nous et quelle image laissons-nous avec la temporalité comme incidence sur notre identité. Une bataille humaine sans réponse, entre le réconfort de l’imaginaire face aux doutes de la réalité. Paris Texas, c’est Nastassja Kinski, une arrivée presque surréelle sur les pointes des pieds, un sourire qui cache une désolation et un manque. Mais elle est déjà trop loin, elle n’existe presque plus, le passé restera à jamais au placard, alors il est temps de repartir sur les routes. Le chemin vers l’acceptation est encore tumultueux pour Travis.