Ce film est plutôt drôle et sentimental et pourtant ne ressemble pas aux comédies-romantiques du moment. Par son réalisme et sa sobriété le nouveau Lucas Belvaux tend grandement vers l'histoire de vie. "Pas son genre" alterne entre deux cinématographiques. Paradoxalement, l'intimisme est à la fois la force et la faiblesse du film. Il rafraîchie la romance tout en étant relativement instable.
Certaines ficelles de la comédie-romantique sont bien présentes ici et la forme narrative en garde les bases. Une rencontre fortuite qui n'annonce au départ pas une idylle, mais dont on connait les évidents rebondissements. Clément et Jennifer ne semblent effectivement pas faits l'un pour l'autre. Non pas parce qu'ils se repoussent un premier temps mais parce qu'ils ont un tempérament et un vécu extrêmement différents. De là découle des incompréhensions, une interférence dans le dialogue. Le scénario est enfin de compte une sorte d'anti-RomCom dans son déroulé. Ils tombent rapidement et naturellement dans les bras l'un de l'autre, mais on voit déjà qu'elle est condamnée à être une histoire à court terme. On échappe donc à l'indigeste, «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants». Ce réalisme apporte de la dimension à l'histoire et ses protagonistes et donc de l'émotion. C'est dans l'écriture qu'il y a le plus de justesse. Les échanges de Clément et Jennifer appuient très fortement leur traits de caractère opposés.
Emilie Dequenne est encore exceptionnelle. Elle fait même parfois preuve de trop de naturel pour un personnage un peu superficiel sur les bords. Quoique pas tant que ça. La jeune coiffeuse a une forte personnalité et du répondant. Son fils et sa façon de raconter ses histoires amoureuses dévoilent très bien un passé tumultueux mais constructeur. Cela justifie simplement la méfiance et la distance qu'elle prend au départ de la relation. L'actrice fait une grande performance dans son ouverture progressive et ses sentiments croissants. Cette vigilance établie au départ devient petit à petit un amour passionnel. On sent toute l’exaltation de l'amour que porte Jennifer à Clément. Le choix des prénoms (surtout le féminin américain) et des professions est tout de même stéréotypé.
Si le rôle offert à Emilie Dequenne bénéficie d'un peu de singularité, celui de Loïc Corbery en revanche est assez banal. Prof de philo introverti, nonchalant et plein de flegme. Comme Jennifer on doute de ses sentiments à son égard tant il en fait peu la démonstration. Même lorsqu'elle essaye d'y faire appel désespérément, Clément reste dubitatif. Il est charmant mais ce n'est une coquille vide. Le jeu du sociétaire de la Comédie Française (encore un) est juste, cependant le rôle n'est pas très intéressant dans l'écriture car il ne se dévoile jamais. Même lors des scènes où il est dans son élément, en salle de classe, c'est pas brillant et bien loin de la qualité pédagogique de "L'esquive" ou "Entre les murs".
Enfin de compte "Pas son genre" est une dévotion à Emilie Dequenne et le personnage qu'elle y incarne. Alors que Clément reste dans ses travers et même s'y enfonce presque, Jennifer résonne, comprend progressivement très bien sa relation avec lui et son tempérament. Le carnaval final est fabuleux en cela, flagrante croisée des chemins. Elle agit finalement logiquement compte tenu de cette lecture qui ne peut qu'être partagée.
L'authenticité n'est pas aussi puissante que chez Kechiche. Mais elle est bien présente et fait de ce film une comédie-romantique vraiment saisissante. La tragique mais belle histoire de ce couple est portée par une grande Emilie Dequenne (cela commence à être une pléonasme) et une mise en scène efficace dans sa sobriété. La dernière image d'un simple vide suffit à emmener l'émotion à son paroxysme.
Et je ne savais pas Arras aussi joli !