Je me souviens que le jour ou Patrick Dewaere est mort j'ai pleuré, non pas que j'adorais déjà cet acteur que je n'avais vu alors que dans deux ou trois films tels que Coup de Tête et Adieu Poulet , mais je me souviens alors que j'avais onze ans des yeux rougis de mes frangins et du silence de plomb dans cette journée d'été lorsque la nouvelle était tombé. Patrick Dewaere je l'ai découvert plus tard en étant adolescent, peut être le meilleur moment de la vie pour s'imprégner de toute la mélancolie, de la révolte, de l'insouciance, de la souffrance, de la légèreté , du mal de vivre, des angoisses et de la puissante émotion de ce comédien écorché vif, de cette anti-star devenue une légende.
Patrick Dewaere a déjà connu les honneurs d'un film documentaire en 1992 avec le très réussi Patrick Dewaere du critique et journaliste Marc Esposito qui retraçait avec beaucoup d'affection et de tendresse la carrière du comédien en pointant déjà sa fragilité et ses nombreuses blessures. Patrick Dewaere Mon Héros de Alexandre Moix , raconté par la voix off de Lola Dewaere est un portrait plus intime, peut être un peu plus recentré sur l'homme que vraiment sur le comédien. Un portrait sans fard qui met en lumière quelques vérités intimes cachées depuis longtemps dans les entrailles des secrets familiaux. A travers cette longue lettre posthume, le film dessine aussi en filigrane le portrait d'une jeune fille qui tente d'apprivoiser, de comprendre et d'aimer un père disparu alors qu'elle avait trois ans, un père dont il ne reste que le reflet cinématographique et médiatique. A la recherche de la vérité, Lola déterre les blessures de l'enfance, remet en lumière l'aspect moins reluisant de ce que l'on raconte souvent sur le côté enfant de la balle avec cette famille dont les enfants étaient partiellement exploités pour faire tourner l'usine familiale de fabrique d'acteurs. Les profondes fractures de l'enfance, rarement évoquées de manière aussi frontale et direct trouvent ici pleine une légitimité dans l'introspection et l'enquête intime d'une jeune fille qui cherche à comprendre l'ultime geste désespéré de son père. Les autres cicatrices , les autres blessures, les autres fractures et contradictions intimes de Patrick Dewaere on les connaît un peu plus mais toutes semblent plus profondes encore remises en perspective avec l'enfance du comédien. La concurrence avec Gerard Depardieu qui renvoie à celle de la fratrie ou ce sentiment de ne pas être aimé par la profession (cinq nominations aux Césars et aucune récompense) qui renvoie à la quête d'une reconnaissance paternel.
Patrick Dewaere s'est également abîmé avec l'investissement vertigineux et profond dans des rôles de paumés magnifiques pour lesquels il mettait son âme et son cœur à nu quitte à y laisser quelques lambeaux. Intense, magnifique et prodigieux dans le Série Noire de Corneau, Patrick Dewaere a offert toute sa fragilité sans filtre à ses rôles, toute sa mélancolie, tout son mal être et toute son intimité. Du pianiste perdu qui tombe amoureux d'une adolescente dans Beau Père au Mauvais Fils de Sautet en passant par le paumé flamboyant de Coup de Tête et l'amoureux romantique et désespéré de Hôtel de Amériques , le comédien aura fouiller plus d'une fois au plus profond de l'intime pour atteindre le sublime. Riche de nombreux document inédits, Patrick Dewaere Mon Héros n'oublie pas non plus de célébrer la fantaisie et l'aspect populaire du comédien à travers l'aventure du café de la gare, la déflagration Les Valseuses, les succès de Adieu Poulet et du film de BoissetLe Juge Fayard. Une reconnaissance public qui vaudra d'ailleurs aux comédien quelques célèbres déboires lorsque qu'il ira mettre son poing sur la gueule à un journaliste qui confond droit à l’information et vie privée, car si le comédien était en quête de reconnaissance publique et professionnel il ne voulait pas non plus selon ces propres mots que l'on colle l’étiquette cinéma sur toute sa vie.
Patrick Dewaere Mon Héros est un documentaire riche, passionnant, intime et émouvant qui nous livre même quelques révélations et explications glaçantes sur son suicide de juillet 1982. Les intervenants sont nombreux et de qualité avec les témoignages d'incontournables tels que Bertrand Blier ou Jean Jacques Annaud et d'autres plus rares comme Brigitte Fossey et Francis Huster avec en complément des entretiens d'époque de Lino Ventura, Yves Boisset, Gérard Depardieu et Pierre Granier Deferre. Bien sûr il manque quelques personnes incontournables que l'on aurait voulu entendre s'exprimer comme Miou-Miou, Depardieu et Sotha mais cette longue lettre d'amour d'un fille à un père disparu reste bouleversante de bout en bout.
Comment ne pas terminer cette petite critique sans citer ce fameux dialogue du film Préparez Vos Mouchoirs : "Trente-cinq ans, il est mort à trente-cinq ans !... Tu te rends compte de la perte... Quelle époque de cons !"