Soupçons
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le 2 mars 2019
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Le terme « jeu » a plusieurs acceptions, dont celle, moins fréquente, d’un mouvement : on dit d’un mécanisme mal serré qu’il a du jeu. Le dernier film de Patricia Mazuy semble volontairement jouer sur cette polysémie : en mettant du jeu dans sa structure, il s’amuse avec malice.
Car il faut un certain temps d’adaptation pour voir où l’orfèvre nous emmène. Dans cette intrigue rebattue (la jeune gendarme, le criminel en fuite, le journaliste ambitieux), plusieurs signaux alarment assez rapidement : un jeu étrange, qui pourrait sonner faux, un humour un peu décalé qui prend plaisir à souligner son instabilité (le commandant, par exemple, qui n’aurait pas beaucoup à exagérer pour sortir de chez Dumont), des clichés qui se placent comme autant de pieds dans le tapis…
Le mélange est curieux, et savamment dosé : d’un côté, les incontournables du thriller, avec argent liquide, armes à feux, planques et filatures. De l’autre, une réalité décatie qu’on tente constamment de mettre au second plan, mais qui ne cesse de manifester sa présence. Le travail sur le son est à ce titre remarquable : dans les bars, le commissariat ou le journal, l’atmosphère (dépôt de plaintes, bruit d’ambiance, conversations animées, jusqu’à cette voix off, trop littéraire pour convaincre) est toujours soulignée avec une insistance inhabituelle. La musique singulière de John Cale en rajoute une couche, entre dissonance légère et ironie. De la même manière, la beauté des paysages de Roquebrune n’occulte jamais vraiment l’autoroute qui la jouxte.
Sur ce terrain bancal, l’intrigue a tôt fait de proposer un nouveau jeu : celui de nos attentes, habilement reprises par une cohorte de personnages bien décidés à s’emparer de toutes les opportunités qu’on leur propose.
Car l’ancrage un brin réaliste – un cadre minable, des personnages médiocres, un monde désenchanté – achève toute l’ambivalence de l’écriture et de la position donnée au spectateur. Ce ne sont pas les comédiens qui jouent mal, mais les personnages qui, avec maladresse, tentent d’endosser des rôles qui sont sur-écrits, et par lesquels ils révèlent surtout leur maladresse. Ainsi d’une gendarme qui pense que désobéir fait d’elle une héroïne, qui s’approprie une affaire trop belle pour être vraie, d’un commandant qui donne des ordres parce que telle est sa fonction, d’un journaliste obsédé par les retombées d’une information dont il n’aura pas vérifié les sources. L’incontournable romance subira les mêmes foudres tièdes, par un couple improbable dans lequel on ne sait qui profite de l’autre.
Au cœur de cette mécanique clivée, le fameux Paul Sanchez (Lafitte, assez génial dans ce rôle de personnage lui aussi comédien). Le seul point d’exclamation du titre aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : c’est à la faveur d’un malentendu, lié d’ailleurs de façon assez grotesque à une autre célébrité, à savoir Johnny Depp en galante compagnie dans sa Porsche, qu’il endosse un rôle qui pourra éventuellement donner du sens à sa fugue loin des larmes, des dettes ou du gigantesque trou qu’est sa vie, à l’image de cette piscine inachevée devant son pavillon qui ne fait plus rêver personne. L’intérêt n’est donc pas tant le twist proposé, et qui généralement a pour vocation de récompenser l’attente d’un sursaut par le spectateur avide de révélations par paliers. Il procède au contraire par continuité de l’univers gris que dépeint la cinéaste depuis le début : victime, bourreau, délateur, représentant de la loi, tous s’abreuvent avec la même déraison de l’affabulation, car seul le romanesque pourra sauver leur morne destinée. Il reste un casse, un meurtre, un livre inepte, mais surtout, une nouvelle fugue, en compagnie d’une tortue mutique. Une succession de béances dans un monde qui, discrètement, hurle son angoisse face au vide.
(7.5/10)
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le 3 sept. 2018
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