Critique publiée en janvier 2020 - J'ouvre l'année avec un premier documentaire découvert par une recherche sur internet, visionné durant les vacances de Noël. -
Dans son ouvrage Réflexion sur la question gay, Didier Eribon évoque l'injure qui frappe l'homosexuel, ce Verbe qui l'emprisonne et décuple son mal-être.
"Au commencement était l'insulte"... Sylvain Desmille reprend cette même image en ouverture de ce documentaire auto-fiction, mêlant images d'archive personnelles et d'époque.
L'on suit ainsi ce protagoniste-réalisateur au plus près de son intimité, construite par un ensemble d'images parcellaires regroupées, tel un album de souvenirs. De la découverte de l'homosexualité, où le terme de "Pédale" est subi, jusqu'au sacerdoce final, forme d’exutoire, où le mot prend un sens mélioratif, le documentaire n'épargne rien de ce mal-être d'être soi et de ce qu'il implique au quotidien.
Et en cela, foncièrement intemporel, le documentaire en devient émouvant et m'a beaucoup touché. Homosexuels ou non, c'est une part de notre histoire de marginaux que l'on entraperçoit à travers ces images. C'est bien nous et notre peur de nous affirmer, de sortir, d'aimer. Tout l’intérêt du documentaire réside sûrement ainsi dans ce constant va-et-viens entre images d'archive permettant de contextualiser l'évolution des luttes homosexuelles et l'évolution privée du narrateur et la manière dont il parvient à construire sa vie. Il frappe surtout par ses résonances actuelles, cette façon intemporelle de vivre son homosexualité : les regards furtifs dans le métro, toujours fuyants, cette fuite infinie du corps dans la ville ---
Un seul danger nous guette : faire de ce personnage central l'archétype de l'homosexuel fin de siècle - nécessairement engagé dans les luttes ou proche d'une communauté ravagée par les années Sida. Le documentaire, parvient à soulever aisément cet obstacle, ne généralisant jamais et s'abstenant de toute vision binaire et figée. En cela il constitue un émouvant cahier secret, l'évocation d'un temps pas si lointain où l'homosexualité était un crime, et forme un témoignage intemporel sur la condition de tout marginal.