À Anne Fontaine, la réalisatrice luxembourgeoise, est communément associée la transgression. Et, plus généralement, le désir d’aller au-delà des limites pour mieux sonder les fêlures et les bizarreries de l’être humain. Cela donne jusqu’à Perfect Mothers une œuvre de onze films plus ou moins réussis, plus ou moins convaincants. Nettoyage à sec en 1997 et Comment j’ai tué mon père, quatre ans plus tard, ressortent sans conteste d’un ensemble morne, où la volonté de choquer le petit bourgeois l’emporte en définitive sur une proposition formelle tant soit peu mémorable. L’expatriation aux antipodes et le générique de deux comédiennes anglo-saxonnes ; en fait deux grosses pointures : Naomi Watts (qui incarnera prochainement Diana) et Robin Wright (à la carrière certes moins prestigieuse que sa consœur) ; laissaient augurer du pire. À quoi il faut ajouter un sujet en apparence sulfureux : deux amies de très longue date, habitant dans un décor de rêve balnéaire, s’éprennent de leurs fils respectifs, deux adolescents magnifiques. Tandis que la réalisatrice de Mon pire cauchemar règle sans attendre le problème des pères (l’un est décédé et l’autre muté à Sydney), elle se concentre sur le développement de cette inédite relation à quatre.
Là où on se serait attendu à voir l’aventure pathétique de deux femmes dans la fleur de l’âge succombant à la fougue et l’ingénuité de la jeunesse, d’une part, à assister dépités et ennuyés à l’éducation sentimentale de deux poupons musclés et diaboliquement séduisants – ce qui, dans les deux options, n’aurait conduit qu’à des relations éphémères et vaines – d’autre part, on pénètre dans une histoire hors normes. Le plan final résume à la perfection la particularité d’une relation qui échappe aux conventions, et donc à la morale. À l’opposé, les scènes inaugurales témoignent du rapport fusionnel qui existe entre les deux amies dès la plus tendre enfance. Les rapports qui se tissent entre elles et leurs fils sont librement consentis et ne sont donc pas équivoques. Ils vont d’ailleurs rester très longtemps leur territoire privé et secret. Le vrai sujet de Perfect Mothers est bel et bien à chercher ailleurs. Deux thèmes en effet surnagent et renvoient au second plan les aspects de la différence d’âge et des relations indirectement incestueuses, échafaudées dans une sorte de transitivité qui serait perverse si elle n’était spontanée, voire naturelle. Premièrement, Anne Fontaine sous-entend avec force et subtilité qu’on ne sort jamais indemnes, si tant est d’ailleurs qu’on puisse en sortir, ce que son film s’emploie à démontrer, d’une expérience hors du commun ; la suite apparaissant dès lors fade et ennuyeuse, sans attraits ni excitation. Deuxièmement, dans un versant à la fois plus noir et plus réaliste, la réalisatrice, pas dupe des ravages de l’âge et du vieillissement, entrevoit les limites intrinsèques d’une relation construite sur un leurre ou un fantasme, n’excluant pas son authenticité ni les tumultes qu’elle ne manque pas de provoquer.
La grande force de la réalisatrice de Nathalie est de faire osciller son film entre raison et déraison, entre respectabilité et inconscience audacieuse de passer outre les convenances. C’est pourquoi Perfect Mothers, qu’on appréhendait comme une succession lénifiante de clichés et de chromos dans une esthétique proche de celle des roman-photo (la beauté des paysages et des quatre comédiens venant renforcer cet apriori), se révèle au final un long-métrage plus dérangeant que prévu, notamment parce que le dérangement suscité vient nous titiller au-delà des sentiers balisés et convenus sur lesquels on croyait le voir s’épandre volontiers. Derrière l’image faussement léchée, le film s’avère nettement plus transgressif et inattendu qu’annoncé.