L’adage est bien connu : il faut être privé de liberté pour pouvoir en connaitre la véritable saveur. C’est probablement l’un des élans à l’origine du pitch pour le moins improbable de Perfect Sense : le monde se voit frappé d’une épidémie qui voit les hommes progressivement privés de leurs sens. L’occasion insolite pour assister à la naissance d’une romance entre un cuisinier et une épidémiologiste. Les premières privations (l’odorat et le goût) occasionnent des aménagements et mettent à mal les compétences du chef, mais permettent surtout de souligner la capacité de l’humanité à s’adapter face à l’adversité. Quoi qu’il arrive, la vie –et, à l’échelle individuelle, l’amour – continue.


Le duo formé par Mc Gregor et Eva Green fonctionne plutôt bien, même si cette dernière peine à égaler l’authenticité de jeu de son partenaire. Au traditionnel jeu de séduction s’agrègent progressivement des enjeux plus graves, et l’idée de mêler ainsi le sort de la planète au destin d’un couple fait mouche : loin du traitement convenu des blockbusters, le dépérissement de l’humanité prend une véritable épaisseur en ce qu’il affecte des personnages auxquels on a pu réellement s’attacher. David Mackenzie affirme ici, comme il le fera plus tard avec d’autres genres comme le polar (Comancheria) la prééminence des portraits.


Certes, la sentimentalité de l’ensemble occasionne quelques petits débordements : une exploitation un peu poussive de la musique de Max Richter, expert en la matière, une esthétique de cartes postales envoyées du globe pour donner à voir la situation planétaire, et quelques hyperboles qui frisent la mièvrerie.


Sur le plan stylistique, la sobriété presque documentaire et naturaliste, qui tend à rendre crédible tout ce que le récit a d’improbable, côtoie quelques expérimentations un peu douteuse, comme cette curieuse idée de placer une caméra sur un vélo pour suivre le protagoniste dans sa virée urbaine.


Mais ces petites maladresses n’empêchent pas au film d’atteindre le plus souvent sa cible, et de générer une mélancolie souvent assez émouvante. Par l’inéluctable de sa progression, bien entendu, dont les paliers successifs mettent les individus dans un état de dénuement catastrophique, et accompagnent leurs maladresses dans la relation amoureuse qu’ils peinent à consolider. Sur ce sujet, les crises qui précèdent la perte d’un sens sont un motif un peu lourd, et on pouvait envisager un moyen plus subtil d’évoquer la palette sentimentale des individus, comme la détresse, le rire ou la colère.


(légers spoils)
Mais l’articulation entre les difficultés bien réelles dans la cohabitation du couple et cette panique croissante face à la fin du monde est judicieuse, d’autant qu’elle a surtout vocation à acter un processus irrémédiable face auquel on ne peut que constater l’impuissance humaine.


De ce fait, le final en suspens et la mise à mal des personnages réduits à l’essentiel de leur motivation (être l’un contre l’autre, tout contre) parvient à colorer comme il l’ambitionnait ce requiem pour les hommes, et leurs cris d’amour. Du seul sens qui reste, Mackenzie puise la force pour le diriger vers son spectateur, qu’il sera tout de même parvenu à toucher.

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le 9 janv. 2018

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Sergent_Pepper

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