« Personne ne raconterait sa vie sans pleurer »

Au sein d’une rave du milieu des années 1990, Petit Samedi initie son mouvement en le conformant à celui erratique des corps exaltés par la musique électronique. Dans cette transe collective, les visages sont transis invariablement par le rythme, occasionnellement par la drogue. Alors que cette époque nostalgique s’évapore subitement, Damien Samedi se dérobe au présent tandis que sa mère, Ysma, tente désespérément d’avoir de ses nouvelles. À 43 ans, « Petit Samedi » – comme il était surnommé enfant – est encore prisonnier de ses jeunes années capturées sur vidéo où l’addiction a commencé à mener la danse. « Quand je consomme, je vis ma vie » avoue-t-il en thérapie. L’héroïne est appréhendée dans sa cruelle ambivalence. Omniprésente en pensée (s’il ne se drogue pas) ou en pratique (s’il se drogue), elle imprègne son quotidien avec autorité. La drogue hante son présent des sensations alors plénières du passé, à l’instar de cette cavité rocheuse se métamorphosant, par les lumières et les sons, en rave alors que l’envie devient plus insoutenable.           


Dans son combat, Damien peut compter sur l’amour absolu de sa mère Ysma. Chacun·e cherche des réponses, aussi rationnelles que rassurantes, à cette addiction : une enfance rendue chaotique par un père alcoolique et violent pour lui ; la mort traumatique d’une sœur pendant la grossesse pour elle. Depuis le début, iels traversent ensemble cette douleur enracinée dans leurs cœurs battant à l’unisson. Avec pudeur, Paloma Sermon-Daï – fille d’Ysma et sœur de Damien – filme leur quotidien entremêlé. Bien que l’addition de Damien affecte la famille tout entière, la cinéaste s’efface pour saisir la pureté de cette relation privilégiée où l’autre est placé avant soi. Mère courage, Ysma parcourt la ville demandant à des passant·e·s, étonné·e·s de l’âge de son fils, s’iels n’ont pas vu cet enfant parfois évanescent. Elle se trouve à la frontière de l’abnégation de sa propre personne, tel ce voyage à Lourdes, qu’elle fantasme encore, gagné lorsqu’elle avait 40 ans qu’elle s’était résolue à offrir à une voisine. Petit Samedi évoque même cette culpabilité de cette mère d’avoir peut-être créé, par le caractère inconditionnel de son aide, un refuge trop confortable pour Damien. « Si je t’avais mis à la porte, est-ce que tu t’en serais mieux sorti ? », confie-t-elle avec une sincérité vibrante.           


Cependant, Damien a tenté et tente toujours de se sortir de son addiction. Pour son premier long métrage, Paloma Sermon-Daï porte un regard empathique sur la maladie et sur la fragilité qui en découle. Sans misérabilisme, elle donne à son frère un espace privilégié pour libérer une parole essentielle. Comme sa mère qui prêche que « personne ne raconterait sa vie sans pleurer », elle déconstruit les stigmates inhérents des personnes souffrant de toxicomanie. Elle redonne une humanité à son frère abandonné par la société. Elle célèbre le chemin plutôt que la destination, même s’il est semé de frustrants échecs. Elle sublime un présent qu’il habite toujours. Sensorielle, sa caméra se place au plus près de Damien lorsqu’il est seul, qu’il joue au flipper dans le bar du village ou qu’il laisse sa peau se gorger de soleil après une journée de travail éreintante. Bien qu’il puisse être dangereux, elle choisit, politiquement et affectueusement, de se placer du côté de l’espoir. Damien clôt Petit Samedi chargé d’optimisme : « j’ai encore du boulot, mais ça va aller ».  

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le 7 juin 2023

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