La reconstruction d'une mère
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le 10 janv. 2021
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Pour son premier film de 2021, Netflix se paye le luxe de distribuer le nouveau film de Kornél Mundruczó, un réalisateur hongrois qui s’est fait connaître avec des films comme White God (2014) ou La Lune de Jupiter (2017). En plus d’être réalisé par un créateur estimé et reconnu, Pieces of a Woman est également produit par le maître Martin Scorsese, ainsi que Sam Levinson, à qui l’on doit la merveilleuse série Euphoria (2019). Pour couronner le tout, le film bénéficie d’acteurs et actrices reconnus, qu’il s’agisse de Vanessa Kirby, Shia LaBeouf, Ellen Burstyn ou encore Molly Parker. Avec autant de noms attractifs crédités, le dernier long-métrage de Mundruczó s’annonçait déjà comme une petite merveille.
Martha et Sean forment un couple soudé et aimant. Bien qu’ils ne viennent pas du même monde, les deux protagonistes s’aiment sincèrement, et ils attendent leur premier enfant. Seulement, à la suite d’un accouchement dont l’issue s’avèrera dramatique, la couple va voir la tranquillité de son quotidien voler en éclat, laissant place à une lente descente aux enfers.
Comme je l’ai précisé précédemment, Mundruczó est un réalisateur expérimenté, il n’en est pas à son premier film. Or, il est intéressant de constater que sa mise en scène se fait assez discrète la plupart du temps quand, à d’autres moments, elle peut intervenir avec force. On pense, bien évidemment, à ce plan-séquence sur l’accouchement d’environ 13 minutes que le spectateur doit subir d’entrée de jeu. Et si j’emploie le terme « subir », c’est parce que la scène en question est d’une telle tension, mais également d’une telle maîtrise technique, qu’elle fera vivre au spectateur une véritable montagne russe émotionnelle. On arriverait même à pardonner à ce plan-séquence le fait que les coupures numériques se voient clairement, tant le sentiment d’être piégé au plus près du réel est fort. De plus, avec cette scène, Mundruczó a d’ores et déjà placé les graines de ce que s’apprêtent à devenir des personnages présentés comme aimants et combattifs, lorsqu’ils n’ont plus à se battre pour quoi que ce soit.
Suite à cet évènement tragique, l’austérité prend place, relevée par la magnifique photographie de Benjamin Loeb, à la fois grise et brouillée, comme pour signifier l’état d’esprit dans lequel se trouvent les personnages. Martha souhaite passer à autre chose le plus vite possible, quitte à oublier cette expérience douloureuse. Sean, lui, ne parvient pas à oublier, et porte le poids de cette douleur chaque jour, au point de chercher quelques sursauts de vie par le biais du sexe ou de la drogue. Les deux êtres, autrefois amoureux, se rejettent mutuellement la faute, et le spectateur se voit obligé d’assister à cette lente décomposition qu’opère le couple, une décomposition progressive parfaitement représentée par le choix de dilater le récit sur plusieurs mois. Tout le monde semble chercher un coupable, y compris la mère de Martha, qui s’attaque à la sage-femme présente lors de l’accouchement.
Dans Pieces of a Woman, chaque personnage est écrit avec une certaine délicatesse, un certain savoir-faire qui laisse émerger une complexité réjouissante chez eux. Aidés par des interprètes qui parviennent à véritablement faire corps avec leur personnage, Vanessa Kirby en tête, ceux-ci se montrent attachants et, dans leurs envies comme dans leurs erreurs, profondément humains. A ce titre, il faut louer la maîtrise avec laquelle sont écrits les dialogues, bien que cette façon de faire émerger de nombreuses émotions rien qu’avec l’écriture de ces dialogues n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que le film est une réadaptation d’une pièce de théâtre que Kornél Mundruczóc et Kata Wéber (la scénariste du film) avaient écrit ensemble en 2018. La musique, composée par Howard Shore, parvient également à relever avec tendresse et subtilité le sentiment de perdition dans lequel baignent les protagonistes, ainsi que la beauté plastique du film.
Finalement, Pieces of a Woman comporte tout de même une ou deux métaphores bien trop appuyées et amenées de façon pataude pour que cela fonctionne réellement (les pépins qui germent, la photo), mais cela ne l’empêche pas de représenter un vrai moment de pure grâce cinématographique, amenée par une simplicité, mais également un savoir-faire indéniable dans l’écriture et l’interprétation. Et après avoir passé toute une saison hivernale en compagnie de Martha, après que celle-ci soit parvenue à comprendre qu’accepter la mort tout en lui faisant face, c’est aussi accepter l’aube d’une nouvelle vie, la photographie de Benjamin Loeb prend tout son sens : aux couleurs grises et ternes se succèdent les couleurs, vives et chaleureuses, d’un après-midi d’été. Comme pour signifier que, dès le départ, une éclaircie salvatrice se cachait derrière cette sombre passade.
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le 8 janv. 2021
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