Planète interdite est l’un des premiers films de science-fiction de l’ère hollywoodienne (car il faut, bien entendu, dans l’histoire générale, laisser une place de choix à Méliès et au Metropolis de Lang) : son visionnage est ainsi un double voyage dans le temps : un futur (l’an 2200) imaginé par un passé et un cinéma aussi ambitieux que bricolé et analogique.
La séquence d’ouverture annonce la couleur, montrant un équipage changer de vitesse à l’approche d’une planète : alors que les instruments de mesures pourraient aisément avoir été inventés par Vinci (globes dorés, boussoles sous coque de verre…), l’essentiel des effets spéciaux se joue sur deux plans : les lumières et les bruitages. Du rouge partout, des sons synthétiques, et l’affaire est dans le sac.
La suite est à l’avenant, et dégage un charme suranné qu’on arpenterait comme un musée : décors peints, ambiance intergalactique sous projecteurs de studios et compensation avec imaginaire hyperbolique (genre, un bâtiment de 7800 étages, avec 400 cheminées, occupant 3800 km3 sous la terre…), et invention funeste d’un sidekick robotique appelé à avoir une longue et pénible lignée, éructant des vannes au gré de ses engrenages bien huilés.
Il serait pourtant malhonnête de limiter Planète interdite à cette gangue de naphtaline. L’accès à cette sorte d’île déserte du cosmos où un père et sa fille séjournent occasionne quelques malices amusantes, à savoir une sorte de réécriture de l’Ecole des femmes de Molières dans l’éducation de la demoiselle au contact d’hommes affriolés par sa fraîcheur et sa candeur, dans une romance décomplexée qui ne tient pas beaucoup de promesses mais permet une certaine diversité dans le décorum. Il en va de même pour l’intrigue principale, plus ambitieuse cette fois : cette question psychanalytique visant à mettre un homme face à la matérialisation de son subconscient va au-delà du simple twist, et pose une question assez riche sur les questions de fond qu’aborderont les meilleurs films de sciences fiction par la suite : que devient l’homme par rapport à Dieu lorsque la science lui permet de tout faire, et par quels biais l’humilité de notre statut se rappelle toujours à nous, aussi loin que nous puissions aller dans le futur ou le cosmos.
Pour l’heure, il s’agit encore de commencer par en mettre plein la vue, et de jouer la carte d’un cinéma donnant accès à un merveilleux presque théâtral – après tout, ce que fit Méliès dès les origines. Mais cette Planète interdite ouvre des voies sur des thématiques que la littérature a déjà mises au jour (l’utopie, l’inconscient, la mythologie, la démesure du tyran inhérente à chaque être humain, on retrouve là tout Shakespeare et notamment sa Tempête) et qui va progressivement éveiller le cinéma à mesure que la SF entrera dans sa maturité.
(6.5)