« Des fantômes dans la jungle »

Parmi les films cultes parmi les cultes sur la guerre du Vietnam, et ça ne manque pas, Platoon n’est peut-être pas le plus renommé, malgré tout de même ses quatre Oscars, notamment pour Meilleur film et Meilleur réalisateur, mais c’est sans aucun doute mon préféré. Oliver Stone réalise là le film que le lui préfère, bien que JFK soit aussi très bien placé dans mon estime et complémentaire à celui-ci, dans un registre qui avait pourtant déjà vu naître bien des chef d’œuvre reconnus les années précédentes à l’image d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola pour ne citer que lui.


Comme ce dernier, il naîtra dans la difficulté, en l’occurrence à cause de difficultés à trouver des producteurs enclins à se lancer dans le projet et de l’exigence réaliste du tournage exigé par Oliver Stone. Mais pour mon plus grand bonheur Platoon a fini par se faire après 10 longues années, mais qu’est-ce qui fait que je place ce film au sommet de sa catégorie ? J’espère que vous vous posez cette question en ce moment car c’est à celle-ci que je vais répondre durant cette critique pendant laquelle je vous recommande l’écoute du magnifique Adagio fort Strings de Samuel Barber.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★★★



C’est un jeune soldat fraîchement débarqué sur le champ de bataille qui va se charger de narrer cette histoire et c’est d’abord un choix cohérent pour nous faire plonger dans cette jungle infernale, lui qui y fait ses premiers pas. Pas d’introduction sur les personnages avant la guerre dans ce film, on rentre directement dans le cœur du sujet : la guerre, du point de vue des hommes qui sont sur le front, de leurs conditions de vie épouvantables, de leur vulnérabilité face aux dangers mortels de tous les jours, des doutes qui les envahissent, de l’absence totale de reconnaissance pour ce qu’ils font, de leurs crises de panique comme de leurs coups de sang... C’est avec un angle très humaniste que les choses sont abordées et je trouve que le récit en ressort très émouvant, bien plus que n’importe quel autre film de guerre que j’ai pu voir.


Deux grands personnages et acteurs sont au cœur de ce récit. D’un côté, Elias le bon gars qui dès ses premières répliques vient en aide à une nouvelle recrue pour le caractériser ainsi, et de l’autre côté, Barnes le mauvais gars qui méprise une nouvelle recrue vomissant en découvrant un cadavre calciné alors que de toute façon c’était un ennemi. C’est un schéma qui se présente comme assez manichéen mais d’une part ça marche très bien, et d’autre part ça a ses nuances à certains moments. Par exemple, le premier crime de guerre de Barnes a lieu peu après la mort très spectaculaire d’un de ses amis sous ses yeux, donc ce n’est absolument pas un antagoniste aux motivations purement mauvaises selon moi.


Ils appuient le propos entre le soldat qui ne peut s’impliquer dans le conflit sans commettre d’atrocités et celui qui ne s’y implique pas et donc ne s’y sent pas à sa place, pas de héros ou de méchants en réalité, juste un conflit qui tue l’homme ou l’humain en lui. Il est à noter par ailleurs que William Daffoe et Tom Berenger jouent très bien ces deux personnages alors que c’était pour eux deux le registre opposé à leurs habitudes, un pari osé mais gagnant. Le casting est également excellent pour les personnages secondaires avec des acteurs qui gagneront en renommé que plus tard dans leur carrière, comme Johnny Depp ou encore Forest Whitaker.


La seule chose positive que l’on puisse faire à la guerre à en croire le film ? Sortir de cet enfer et vivre sa vie si c’est encore possible, c’est clairement là qu’est le message du film, un message très pacifiste et très bien véhiculé par conséquent, comme la guerre du Vietnam en est si souvent l’objet en tant que guerre facilement identifiable comme dégénérant toujours plus sans jamais mener à rien d’autre que de la souffrance. On a donc une critique de la guerre évidemment qui n’a ici rien d’héroïque mais aussi du racisme, de l’impérialisme américain, du mépris des pauvres... c’est très ambitieux, pluriel et bien amené, en plein milieu des années Reagan qui plus est.


Quand il parle des origines sociales des soldats américains, Oliver Stone déclare lui-même :



La plupart des soldats de l’infanterie au Vietnam était surtout issus de milieux défavorisés, les autres étaient protégés par la loi. Ça n’a jamais été une guerre démocratique et si elle avait tué des jeunes issus des classes moyennes et favorisées, je suis convaincu qu’elle se serait arrêté beaucoup plus tôt.



C’est également très personnel puisque le personnage principal qui fait vivre cette histoire est un jeune qui s’est engagé volontairement dans la guerre du Vietnam et Oliver Stone fut un jeune qui s’est engagé volontairement dans la guerre du Vietnam, le réalisateur raconte en réalité sa vision des choses 20 ans après par le cinéma, dans un œuvre quasiment auto-biographique. Je ne l’ai appris qu’après avoir vu le film, dans les bonus du blu-ray, mais ça m’a paru très cohérent après coup et c’est très touchant de suivre les commentaires audio du réalisateur qui fait le lien entre ce qu’il dit avoir vécu réellement et comment il a choisi de l’adapter dans le film. C’est donc très intéressant et riche dans le fond mais c’est également très bien fait dans la forme.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆



Le choix de réalisation ouvrant le film est assez clair, les jeunes soldats américains débarquent en pleine guerre au Vietnam pour y être accueilli par des nuages de poussière et des litres de sang, un bien pâle avant-goût de l’horreur qui les attend alors que le regard du jeune homme croise celui du vétéran usé, au regard inexpressif. Déjà la musique classique Adagio for Stings de Samuel Barber se fait entendre en imprégnant chaque plan d’une somptueuse mélancolie qui annonce la couleur bien triste de cet environnement de guerre, toute l’ambiance du film y est annoncé.


Quelques plans très esthétiques magnifient le rendu à bien des moments, des hommes apparaissant tout de noir creusant au crépuscule, les rayons du soleil passant à travers l’épais feuillage des arbres filmés du point de vue des soldats en contrebas, une très belle végétation laissant place à un incendie spectaculaire par un mouvement de caméra, Elias tendant les mains vers le ciel avec le feu se propageant derrière lui... ça n’a rien à envier pour moi aux meilleurs films du genre souvent davantage mis en avant particulièrement sur ces aspects-là.


Le décor naturel de la jungle est absolument superbe et retranscrit avec beaucoup d’authenticité, il s’agit pour l’anecdote des jungles Philippines comme pour Apocalypse Now, sans doute pas un hasard. Ça a conduit pourtant a bien des difficultés pour le tournage mais c’est aussi ce qui contribue à rendre le film si immersif. Les acteurs ont d’ailleurs vécu dans un campement militaire reconstitué en pleine jungle avant le tournage pour que leur jeu soit au plus proche du réalisme. Le soin du détail apporté aux costumes avec les petites personnalisations des casques, les traces d’usures des vêtements, les maquillages sur les blessures… contribuent également à cette immersion avec beaucoup d’efficacité.


Qui dit film de guerre dit scènes d’action et celles de Platoon peuvent être violentes, anxiogènes ou explosives très facilement. Pour coller à la narration du point de vue des soldats, on retrouve ce même état d’esprit dans la façon de filmer les affrontements qui arrivent quand on ne s’y attend pas, dont on arrive pas à avoir une vision d’ensemble, qui se concentrent par moment sur un personnage qui ne voit rien ou est sonné... tout est fait pour que ce soit immersif et ça l’est. Les metteurs en scène ont évité la bataille très lisible et spectaculaire pour quelque chose qui allait mieux avec leur propos sans lésiner sur la qualité ou la durée de ces scènes malgré les limites budgétaires et je trouve ça admirable.


Enfin les musiques ne sont pas très nombreuses mais c’est un parti pris qui marche bien ici puisque ça permet de laisser toute la place à la sublime mélodie d’Adagio for Stings qui elle aussi s’accorde très bien avec le propos. Quand j’entends cette musique je pense à Platoon, quand je parle de Platoon j’entends cette musique, c’est un peu facile comme procédé mais la preuve que c’est efficace. Ils ont également bien réfléchi à son utilisation, comme elle est mise sur des moments plutôt contemplatifs, ils l’interrompent sur une scène pour surprendre le spectateur avec une scène d’action, ce qui est plutôt bien vu.



CONCLUSION : ★★★★★★★★★☆



Un film de guerre au récit émouvant, aux messages intelligents, aux personnages attachants, aux affrontements impressionnants, à l’ambiance immersive, aux plans esthétiques... au final il est bel et bien mon film de guerre préféré, sur la guerre du Vietnam mais même plus généralement. Il est également pour moi l’une des plus sincères et brillantes illustrations de ce que peut insuffler un réalisateur à son œuvre en y mêlant avec talent à la fois son vécu, ses convictions et son art.

damon8671
9
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Créée

le 12 sept. 2019

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damon8671

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