En 1964, alors que la peur d'une guerre nucléaire est omniprésente dans la société américaine, deux films au scénario similaire voient le jour seulement quelques mois d'intervalle. Le premier : le désormais culte Docteur Folamour de Stanley Kubrick, le second, le plus discret Point Limite de Sidney Lumet. Ces deux géants du cinéma américain partagent les mêmes craintes dans leurs œuvres, celles de voir les menaces devenir réelles, qu'il ne soit plus possible de revenir en arrière. Ce scénario commun est celui d'un ordre donné par erreur à un avion militaire américain. Ce dernier doit détruire intégralement Moscou grâce à la puissance nucléaire. Le gouvernement américain va donc tout mettre en œuvre afin d'empêcher cette funeste opération qui déclencherait un conflit international sans précédent. Stanley Kubrick va utiliser cette matière pour créer une grande comédie noire, jouant du burlesque pour montrer les folies de son époque. À l'inverse Sidney Lumet va se tourner vers le thriller réaliste beaucoup plus froid, se limitant à seulement quelques lieux afin de créer une véritable tension qui ne cessera de croître. À cause de son ton beaucoup plus sérieux que son aîné et du fait qu'il soit sortit en second, Point Limite est beaucoup resté dans l'ombre de Docteur Folamour, cependant il n'a en réalité rien à lui envier et devrait être considéré comme l'un des grands chefs d'œuvre que les Etats-Unis ont su produire dans les années 60.


Un des éléments qu'utilise Kubrik pour tourner l'armée en dérision est l'utilisation  à outrance de tambours militaires accompagnant des actions les plus absurde les unes que les autres. Une des grandes particularités de Point Limite est de n'avoir aucune musique. La bande son est seulement composée de bruits de machines, de silences mais surtout des voix des hommes essayant de régler la situation. Les militaires et les dirigeants sont laissés seuls avec leurs doutes et leurs peurs.
L'homme est mis face à ses responsabilités, car malgré le fait que l'erreur soit à l'origine purement mécanique, c'est bien l'homme qui a permis la catastrophe en perfectionnant un système très complexe ayant pour but de s'assurer de la destruction de l'ennemi. A partir du moment ou ce dernier est mis en action, il n'y a plus aucun moyen de revenir en arrière. Toute l'absurdité de la recherche de la surpuissance est brillamment mise en scène car c'est bien la peur de l'autre qui a tout déclenché. La peur de la puissance de l'ennemi, de savoir qu'il est en capacité de nous détruire s'il le veut et que l'on se doit donc de pouvoir faire de même avant lui.


Sidney Lumet imagine donc les derniers instants de ce pouvoir qui n'a plus que les mots comme arme ultime. L'action est concentrée sur plusieurs lieux de pouvoir : le bureau du président, le bureau du Pentagone avec les généraux et le centre de contrôle de l'armée américaine.
La progression de l'avion chargé de larguer la bombe est visible grâce à un grand écran représentant des points sur une carte. Cette astuce, qui est certainement également motivée par un souci de budget, permet de comprendre de façon parfaitement claire le déroulé du conflit aérien qui a lieu. On voit les avions se déplacer comme des pions sur un grand échiquier, ce qui donne l'impression que ceux qui prennent des décisions sont complètement détachés de la réalité physique. On discute des pertes humaines possibles mais le film ne nous montre pas les gens qui risquent de mourir. On ne voit que ceux qui dirigent et qui sont en parfaite sécurité sans qu'il n'y ait de contre champ à cela. C'est uniquement à la fin, à travers quelques photos, que l'on voit les habitants de New York qui vont mourir de la riposte russe. Seulement, il est déjà trop tard. Ils ne sont impliqués dans l'histoire que lorsqu'ils meurent, avant cela tout ce qui se déroulait était bien au-dessus d'eux. De façon imagée (par la hiérarchie) mais aussi littéralement (dans les airs). 
Lumet utilise (donc) le même procédé que dans 12 hommes en colère. Le principale intéressé de l'histoire, celui dont la vie est en jeu, n'est pas présent à l'écran, ce qui nous fait parfaitement comprendre que son destin n'est pas entre ses mains. C'est bien là l'aspect le plus terrifiant du film : réaliser que nous sommes absolument impuissants face à ce qui se passe dans le monde, que la mort peut frapper à tout moment sans même que nous ayons le temps d'en prendre conscience.
 Ces Inquiétudes sont toujours d'actualité même si elles ont pris d'autres formes. Notre dépendance aux machines n'a fait qu'empirer et la menace d'escalade nucléaire, bien que moins sérieuse qu'autre fois, est toujours présente. Point Limite a ainsi non seulement su parfaitement représenter les craintes de son époque, mais également poser des questions intemporelles à propos du pouvoir et de la responsabilité, ce qui est la marque des grands films. 
_Nostromo
10
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le 15 janv. 2022

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