Jeunesse dorée
Critique originale sur Le Mag du Ciné Port Authority emporte le public dans une histoire d’acceptation et de rejet permanent envers la personne que l’on est, à travers les yeux d’un jeune homme, un...
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le 19 mai 2019
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Paul est en liberté conditionnelle et quitte Pittsburgh pour aller vivre chez sa demi-sœur Sara à New-York. Cette dernière ne vient pas le chercher à la gare routière de Port Authority et refuse qu’il s’installe chez elle. Paul, après une bagarre dans un métro, va faire la connaissance de Lee qui va lui proposer un lit dans un foyer d’hébergement et de travailler avec lui. Un soir, Paul va rencontrer Wye qui appartient à une communauté de danseurs noirs queer qui pratiquent le voguing. Ils vont rapidement éprouver des sentiments l’un pour l’autre. Mais leur relation va se compliquer lorsque Paul va apprendre que Wye est transgenre et quand cette dernière va comprendre qu’il lui cache beaucoup de choses sur sa vie.
Port Authority est le premier long-métrage écrit et réalisé par Danielle Lessovitz. Elle avait participé au scénario du film Mobile Homes (2018) dirigé par Vladimir de Fontenay qui était déjà centré sur des personnages de laissés-pour-compte. La réalisatrice s’inscrit donc dans la veine du cinéma social. Et pour son premier film, elle va aborder la question de la marginalité de front en immergeant le spectateur dans l’univers du ballroom et du voguing.
Ce mouvement est non seulement artistique mais aussi, et surtout, culturel. Les participants de la ball room scene appartiennent à des communautés stigmatisées, par rapport à leur couleur de peau, à leur identité ou à leur sexualité, et le voguing (danse des ballrooms) est l’occasion pour eux de se réapproprier l’espace (intime, social et culturel) dont les a privés les classes dominantes. Le travail de documentation effectué par Danielle Lessovitz est à saluer tant la représentation des différents aspects cette culture (danses, défilés, organisations et intégrations des familles ou houses) est parfaitement exposée à l’écran. Le choix de la réalisatrice de filmer ce milieu underground lui permet de traiter de la marginalité sous un angle original et d’aborder un sujet rarement montré au cinéma : La transidentité.
La réalisation caméra à l’épaule participe au traitement réaliste et immersif du long-métrage et parvient à capter l’ardeur des chorégraphies exécutées par les vogueurs notamment lors des scènes d’entraînements et lors du défilé sur la ball room scene. Cette mise en scène permet également de souligner le caractère intimiste du récit.
C’est par le biais du personnage de Paul (blanc, cisgenre et hétérosexuel), que Lessovitz va nous faire pénétrer dans cet univers. Le premier quart d’heure du film se concentre sur la présentation de Paul, son arrivée à New York et ses déconvenues. Dès le premier plan, la marginalité du personnage est symbolisée par la mise en scène : il apparaît filmé à travers la vitre du terminal et reste à cet emplacement alors que les autres personnes entrent dans le bâtiment. Il a une balafre sur la joue et semble perdu au milieu de la gare routière, ignoré par les passants. Cette introduction présente Paul comme un personnage paumé, déclassé, discriminé par sa belle-sœur qui refuse qu’il crèche chez elle parce qu’il est en liberté conditionnelle (on peut d’ailleurs se demander pourquoi la tante l’envoie chez Sara sans l’accord de celle-ci). Le fait qu’il soit nouveau et qu’il ne connaisse personne pouvant l’héberger, va le pousser à s’enfoncer dans les bas-fonds de la ville. De plus, le fait qu’il se fasse tabasser dans un train par deux gars, le présente comme un être vulnérable qui n’est pas le bienvenu à New-York. Grâce à Lee, qui va le sortir de cette bagarre, il va obtenir un lit dans un foyer d’hébergement (le Centre Delancey) et va travailler avec lui. Ce job de « déménageur » consiste en réalité à vider les appartements des familles qui n’arrivent plus à payer leur loyer ou qui ne respectent pas les contrats de bail. L’idée de ce contexte social, qui montre des laissées-pour-compte survivre en tirant parti de la misère d’autres personnes déclassées pour le profit de riches propriétaires (qui ne sont jamais montrés), est intéressante mais son traitement s’avère être assez superficiel. En effet, cet aspect social est surtout là pour montrer l’engrenage dans lequel Paul est pris. Il a honte de faire ce travail mais pense ne pas avoir le choix. Il n’assume pas sa condition sociale (le fait d’être SDF) et ira jusqu’à entrer en douce chez Sara pour faire croire à Wye qu’il habite un grand appartement bourgeois. Il n’est pas non plus chaud pour qu’elle rencontre « ses amis » (là clairement on le comprend). Il passe son temps à lui cacher la vérité car il ne veut pas être jugé. Paul se sent perdu et n’arrive pas à intégrer de groupe : il alterne entre la bande de Lee et la famille de Wye. Il joue constamment double jeu en fréquentant deux mondes qui sont totalement opposés : celui de Lee est violent et discriminant alors que celui de Wye repose sur l’acceptation et la revendication de l'identité propre à chacun (le principe de base du voguing). Le fait que Paul n'ait jamais eu de véritable famille (il a passé son enfance dans une famille d’accueil et n'a pu dire au revoir à sa mère) explique la marginalité du personnage et son ignorance de la notion d'identité (il apparaît comme un fantôme aux yeux de la famille de Wye). Ce problème identitaire va voir des répercussions sur sa relation avec Wye notamment lorsqu'il va apprendre qu'elle est transgenre au cours d'un ballroom.
Il va alors quitter brusquement la salle alors qu’elle est en train de défilé sur scène. Elle le rejoint dans la rue et il lui reproche de ne lui avoir rien dit. Wye lui rétorque qu’il ne lui a rien demandé et qu’il faut qu’il « ouvre les yeux, [qu’il ne peut] pas s’arrêter aux apparences ». En affirmant qu’il n’est pas gay et en osant lui demander si elle a un pénis, il confond, de fait, homosexualité et transidentité. Il amalgame l’identité (orientation) sexuelle et l’identité de genre. L’écriture des dialogues, dans cette scène, est remarquable et met en lumière les complexes du personnage de Paul. Il va continuer de s’enfoncer en disant : « Je ne veux pas qu’on me prenne pour ce que je ne suis pas ». Il confirme alors les paroles de Wye, il s’arrête un fois de plus aux apparences et est prêt à remettre en cause ses sentiments pour elle. Après cet échange et après s’être fait à nouveau tabasser (il l’a littéralement cherché cette fois), il décide de s’excuser auprès de Wye et ils vont alors coucher ensemble. Sa relation avec Wye et sa découverte du milieu du voguing vont l’aider à trouver au fur et à mesure sa place et à s’accepter. Paul finira par essayer d’intégrer une famille de vogueurs en choisissant une catégorie qui lui correspond : « White Boy Realness ». En faisant cela, il s'assume et accepte sa condition de marginal (il retrouve son identité) et va enfin trouver sa place dans le monde (une nouvelle famille). L’évolution du personnage est très soignée et son accointance progressive avec l’univers du ballroom permet à Danielle Lessovitz d’aborder l’acceptation de soi et d’autrui avec justesse.
Il est d’autant plus regrettable que ces différentes réussites s’accompagnent d’un scénario assez convenu. En effet, Danielle Lessovitz semble délaisser, au fur et à mesure, l’aspect social et le panorama culturel du voguing, au profit de la romance entre Paul et Wye qui manque d’originalité. Il y a quand même quelques beaux moments dans cette intrigue. Les premières scènes entre Paul et Wye sont pleines de tendresses, et ce sentiment est renforcé par l’intimité des cadrages : leurs corps s’effleurent dans le couloir exigu de l’appartement de Wye et le premier baiser est échangé sur un balcon de petite taille. Mais c’est surtout dans le déroulé de la dramaturgie que s’accumulent les poncifs. Nous sommes alors en présence d’un enchaînement de scènes attendues qui peinent à donner de l’intérêt au film. L’idée selon laquelle Paul alterne entre le monde de Lee et celui de Wye est intéressante (caractérisation de la marginalité du personnage) mais ce va-et-vient permanent donne l’impression que le récit fait du surplace. Le scénario ne gagne jamais en intensité. La scène où Paul suit la bande de Lee pour vider l’appartement de la famille de Wye (car ils sont trop nombreux à vivre à l’intérieur) est ultra prévisible et, par là même, manque d’intensité dramatique. Le fait que Paul choisisse de dénoncer, aux proches de Wye, le passage à tabac que Lee et Nix ont infligé à Tekay redonne tout de même un minimum d’intérêt à la scène. Le traitement de certains personnages peut manquer parfois de subtilité. L'acceptation d'Alex par rapport à la transidentité de Wye arrive trop rapidement et n'apporte aucun questionnement sur le sujet. La caractérisation du personnage de Lee manque de nuances. Son comportement et sa personnalité sont détestables : il est sans scrupules quand il s’agit de se faire de l’argent sur la misère des autres et il s’avère être machiste et homophobe (amené avec lourdeur au début du film). Ces maladresses d’écritures desservent la dramaturgie ainsi que les thématiques du film qui perdent de leur puissance.
Port Authority vaut surtout pour la représentation de la culture du voguing et l’impact qu’elle va avoir sur Paul. C’est l’occasion pour Danielle Lessovitz de mettre en avant une communauté peu montrée au cinéma : celle des queers afro-américains qui voguent dans les ballrooms. Le traitement du personnage de Paul permet également de parler de la marginalité, en abordant les questions de l’identité (genre et orientation sexuelle) et de l’acceptation de soi de manière très convaincante. Le scénario convenu de la romance de Wye et Paul et l’ensemble du déroulé dramaturgique peinent à captiver et participent à faire de Port Authority un film sympathique mais banal, ce qui détonne avec les thématiques intéressantes exposées.
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le 15 août 2020
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