A mourir !
Comédie percutante parce que superbement rythmée et interprétée, "Prête à tout" est d'abord une dénonciation sans concession de l'un des symptômes les plus évidents de notre époque sur-médiatisée :...
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le 29 juil. 2016
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Deux ans après Malice, Nicole Kidman nuance son personnage de 'perverse narcissique' pour interpréter une psychopathe lisse, attrayante, douée, à la petite portion d'âme obnubilée par ce qui brille. Comme elle le démontre avec une si belle application dans les apartés face caméra sur fond blanc, elle a intériorisé les attentes culturelles, la 'véritable' hiérarchie sociale, ce qui est 'véritablement' éthique, donc ce qui vaut d'être aimé, désiré, respecté (et pas ce qu'on approuverait mielleusement sans vibrer) : la réussite sociale et une prestance supérieure irradiant les médias et les spectateurs. Qu'importe si cela revient à meubler si on est le plus ravissant des meubles.
La construction en flash-back donne l'occasion à la poupée de porcelaine assertive de participer au commentaire sur sa vie, son œuvre, manifestement maléfique et méprisable aux yeux des autres – ce qui ne semble pas la préoccuper puisque ses performances ont été parfaites. Les témoignages permettent de prendre une distance avec son cas, distance émoussée le reste du temps par la complaisance. La rigueur de la mise en scène ne permet pas ce sursaut moral, seuls des recours tranchés comme les laïus de Janice et les décharges humoristiques peuvent enrayer la machine – c'est peut-être pourquoi ils sont insipides et éventuellement lourdauds (les deux familles sur le divan télé, l'introduction de Jimmy et Russel). L'humour est meilleur quand il accepte le jeu de Suzanne, en œuvrant comme elle dans le sarcasme sans affectation. Les meilleurs exemples concernent un homme chéri, avec l'usage d'All By Myself et l'irrésistible dédicace en fin de flash météo.
Le point de vue sur la captation des fantasmes par la télévision est assez habile et s'étend immédiatement aux réseaux sociaux. Même s'il surfe sur la morale à l'égard de la corruption des âmes par les médias, il ne tombe pas dans le niaiseux et ne prend pas le support dominant dans le présent pour un responsable à l'initiative du 'mauvais' (si c'est à cause d'une critique à la présence opportune dans un 'produit de commande', qui n'a pas eu la chance de se développer, alors ce ratage est bienfaiteur). L'époque se prêtait parfaitement à une telle représentation (la gamine assujettie partage les rêves miteux de l'ado shooté du Storytelling de Solondz). Network et Videodrome avaient déjà fait le travail de fond à propos de cette emprise des écrans sur les masses ; To Die For fait plutôt celui de démonstration, quasi parodique, que fera douze ans plus tard Live ! à propos de la télé-réalité (où Eva Mendes s'expose afin de remplir sa fonction de maîtresse d'une expérience certes répugnante, mais remarquable, sommet et climax dans l'histoire de son secteur).
Si Prête à tout fonctionne tellement c'est grâce à cette candide froide portée haut par sa détermination à toute épreuve (l'écriture est excellente mais tout est prémédité, il ne faut donc pas compter sur le suspense pour accrocher – puis la conclusion est d'un guilleret plombant, peu importe le visage du tueur à gages). Suzanne est une enveloppe magnifique sur une coquille d'un genre répandu, presque condamné à la poursuite compulsive du succès ou bien de la visibilité, sinon vautré dans l'ennui et rongé par la mesquinerie. Un genre transversal ici incarné dans une 'vraie' et extraordinaire femme fatale – pas la fantaisie tirée d'un imaginaire présumé strictement masculin (si elle relève c'est via le type rationnel, comme dans La fièvre au corps). Jouer la femme objet pour la galerie ? Avec joie – si c'est ce qu'il faut [pour imprimer son image] elle coche cette cause aussi ! Son énergie, son ambition et sa vanité immenses se répandent sur ce qui se trouve là en attendant mieux ; Larry est son amant entrée de gamme en attendant mieux et car il permet de viser mieux (mettre un voile sur la nature criminelle de sa belle-famille n'est même pas nécessaire, car ce qui reste hors-champ et hors-lumière n'existe pas pour elle – et probablement pas pour 'l'opinion publique').
Finalement la grande force du film, passé cette fusion avec le côté grotesque et éblouissant du personnage, est sa capacité à montrer, sans emballement, les limites et fatalités inhérentes à son triste génie. Elle sait innover et initier des projets (dans cette modeste chaîne locale où une telle « tornade » est décalée), mais est dépourvue d'une intelligence créative et surtout d'une quelconque lucidité 'en profondeur' (et elle est sans doute trop jeune et vernie pour le savoir). En revanche elle a celle de faire le nécessaire – et s'y applique sans les limites de 'petits esprits' englués par des barrières communes – morales en particulier. Elle excelle dans une sorte de flatterie supérieure – cette capacité de faire passer les désirs de l'autre pour une réalité, lui faire croire qu'il vit quelque chose (même si elle la déploie rarement à fond car cela exige de se décentrer de sa propre valeur). Mais la satisfaction la broie. Quand elle obtient l'attention des caméras, ses efforts et ses effets deviennent trop voyants. La prestation se rigidifie, la spontanéité s'éteint – l'enthousiasme et l'émotion dévorent cet esprit plastique et neutre, il n'y a plus d'espace pour souffler entre les emprunts et les paroles toutes-faites, la confiance creuse en ces formules devenant fatale sans le relais de ce don de l'adaptation.
Quand Suzanne a obtenu ce qu'elle voulait, elle n'arrange plus le masque, laisse à l'air libre ses priorités – un gros cynisme, voire un bon sens réaliste l'emporte ouvertement. Son obsession d'être vue, comme tous les dopants, a des contre-coups terribles et l'éloigne de la réalité (dont elle est tellement dépendante). Les assauts des journalistes, même s'ils sont grossièrement avides ou dédaigneux, sont perçus comme des applaudissements (bande-son subjective à l'appui). Suzanne est entièrement dans la logique de ces marchés où la visibilité est l'essentiel. Il faut rester à l'affiche en suscitant une demande (même assassine), peu importe la qualité de la réception, peu importe la défiance – mais dans son cas cette notion d'hostilité est naturellement dans l'angle mort, ce n'est pas un calcul ; en elle il n'y a jamais l'once d'un début de polémique, aussi elle n'en soupçonne pas la portée chez les autres. Cette inertie intérieure est pour beaucoup dans ce qui la rend à la fois désirable et sympathique malgré sa dangerosité – un tel démon vivant dans la parodie ne connaît que des tragédies sans douleur.
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Créée
le 19 janv. 2019
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