Amnésie calculée pour thèse débridée

Voilà un cas d'essai au cinéma – et non d'essai cinématographique. Les deux protagonistes sont passionnés dès le départ, ne se soucient pas de nous embarquer, de nous tendre ou nous présenter quoique ce soit d'un peu distinct de leur bouillabaisse scientiste et philosophique mâchée par eux, avalée et digérée dans le secret. Les voyages temporels sont comme le reste : indifférents, noyés dans les émules verbales, allées-et-venues ou savants bidouillages. L'intégralité de cette courte séance se passe à suivre les ingénieurs sur leur projet, entre leurs garages, lieux d'exercice professionnel, discussions plus relâchées sous le soleil – mais cela en doublons voire plus si nécessité.


La photo est saturée, presque poisseuse, les moyens et tics documentaires, pour une fiction continue mais morcelée – cette continuité c'est justement ce qu'elle remet en question, allant vers la destruction de celle que le commun des mortels croit comprendre. Ironiquement, le seul point où ce film sur-explicatif est encore pédagogique à bon escient, c'est dans son déroulement, où il conserve une logique 'évidente' – autour d'un fil de calculs, d'applications, préparations, actions/comptes-rendus, souvent torpillés ou zappés, imitant ainsi la recherche de dénouements intellectuels des deux ingénieurs. Cette cohérence ne suffit pas à rendre la séance limpide, à cause du jeu malin des monteur et scénariste, qui s'amusent à effacer des lignes promptes à rapprocher Primer d'un banal Timecrimes ou Inception, c'est-à-dire un film à concept immédiatement compréhensible.


À terme Primer flirte avec le complot et les mystères, tourne au thriller avec bases SF bien fournies. Il ne se fondera pas dans la masse, ne s'abandonnera pas aux facilités et au sensationnalisme, mais semble s'obliger à recomposer avec des sentiers vulgaires – histoire d'apaiser les enthousiastes honteux de leur étroitesse d'esprit, peut-être. C'est à tel point qu'à un moment, ces paris avec le temps détourné ne semblent soudain servir, en gros, qu'une victoire au Loto ; bien sûr ces onces d'humilité et ce banalité sont des masques. Malheureusement ni les moyens ni l'énergie pour engendrer un Premier contact ne sont au rendez-vous, tandis que l'émotion et les trivialités d'un K-Pax ou d'un Man from Earth appartiennent à une galaxie cousine (tant mieux pour les post-ados) ; le seul objectif semble de jouer avec les méninges et l'ouverture du spectateur, sans se fixer de destination, le mindfuck de haut niveau étant fin en soi.


https://zogarok.wordpress.com/2017/03/10/primer/

Créée

le 28 févr. 2017

Critique lue 366 fois

1 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 366 fois

1

D'autres avis sur Primer

Primer
Chaiev
8

L'inexis-temps

Philosophes et religieux s'évertuent depuis des siècles à rabâcher en vain une vérité qui ne veut pas rentrer dans nos cerveaux enfantins : le temps n'existe pas. C'est un fantôme, une invention qui...

le 1 janv. 2012

81 j'aime

42

Primer
Citizen-Ced
7

La 23ème version de moi comprendra ce film

J'adore cette conception de la SF : concrètement on a deux gars qui discutent pendant 1H30, pas d'effets spéciaux, pas de scènes d'action, et c'est hyper prenant. J'adore ce concept de voyage dans le...

le 15 mars 2012

34 j'aime

1

Primer
Amrit
4

L'énigme sans vie

Après l'avoir attendu comme le Messie, évidemment que je ne peux pas lui fourrer un 4 et partir comme un enfoiré. Je dois m'expliquer. Expliquer pourquoi un fan absolu des récits de voyages dans le...

le 2 mars 2016

32 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2