Priscilla
6.1
Priscilla

Film de Sofia Coppola (2023)

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Le nouveau film de Sofia Coppola sur la vie de Priscilla Presley, femme dans l’ombre du King sous les feux constants des projecteurs jusqu’à sa mort, s’inscrit dans les récits à contre-point des icônes masculines - ici, la femme derrière le grand homme, comme l’adage patriarcal ne voudrait que les qualifier, les simplifier au recto rouillé d’une pièce dorée.

Ne noyons pas le suspens, c’est bien Priscilla. Et ceci pour plusieurs raisons malignes, plusieurs tours de forces suggestifs, une histoire des conditionnements dans les deux genres et la capacité du film à en faire une icône féministe.

On découvre Priscilla (Cailee Spaeny, impressionnante de justesse et de tension retenue) en Allemagne de l’Ouest, où son père est affecté dans la même caserne qu’Elvis. Priscilla a 14 ans, Elvis est déjà une star planétaire. Déséquilibre initial, qui ne va ni la gêner - au contraire, il est symbole d’aventure, de liberté, de changement de condition même si l’aventure pour les femmes des années 50 ne pouvaient passer que par les hommes - ni le gêner - elle est jeune, belle, poupon, effacée. Il pourra la modeler à sa guise.

Toute la théorie du film se découvrait déjà dans la scène d’introduction : des pieds qui marchent, en lévitation presque, avec des ongles rouges parfaitement faits. Des grands yeux, du mascara. Une bouche. Des faux cils. Déjà, Priscilla n’apparaît pas en soi. Elle apparaît par petites touches, dans ses apparats physiques et féminins de beauté, elle apparaît comme objet de désir. Mais le sera-elle seulement, ou le restera-elle ?

Ils commencent à sortir ensemble, Elvis repart aux US, et bientôt Priscilla le rejoint aussi à Graceland.
Son quotidien, c’est beaucoup la solitude, beaucoup de compromis, un peu Elvis. Mais tout pour Elvis. Sofia Coppola montre avec une tendresse la seule carte que Priscilla peut jouer, son homme. Autrement, retour chez papa/maman. Elle n’est pas libre, et pourtant ce n’est pas Machiavel : c’est Rimbaud. Elle croit à l’amour comme le seul échappatoire qu’on lui ait appris - et si on peut décrire cet échappatoire comme un élan romantique, c’est avant tout sociétal. Elle n’a pas le choix, ça sera lui ou un autre. Mais pour autant, elle l’aime sincèrement.

Ses envies de liberté sont tout le temps réprimés au moment où elle se sent capable de dépasser son statut de faire-valoir. Et ça, Coppola joue de contraste soudain, avec une rupture de ton, pour souligner l’emprise. D’une seconde l’autre, bataille de coussin amoureuse puis critique de sa non-féminité. Remarque personnelle sur la musique, une chaise qui vole.

Sois belle et tais-toi.

Pourtant, tout n’attend chez elle que de s’accomplir, de se réaliser, de dépasser sa condition. Il lui en empêche. Car lui même, est sous l’emprise du Colonel, de sa condition d’homme, de star. Presque tendre en privée, il ne peut être qu’en représentation avec des accents misogynes et sexistes en public.

Le film trouve sa mesure. Ici, pas de manichéisme. Pas de misandrie. Il déploie une construction pleine d’ambivalence sur des enfants perdus et prisonniers d’injonctions contradictoires.

Et cette construction en reflet opposé s’opère tout particulièrement dans la dernière partie, les années 70, signe de salut, le patte d’éph à la place des robes. L’une va de l’ombre à la Lumiere et se réalisera.
L’autre sombre dans les ténèbres de la nuit de Vegas.
Dieu est mort - et la femme vit, enfin.

BaOuM
7
Écrit par

Créée

le 11 janv. 2024

Critique lue 16 fois

BaOuM

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