Les visions successives ne semblent pas porter préjudice à l'enthousiasme que l'on ressent devant le génial film de Stephan Elliot. Pourtant, avec son exubérance et son overdose de musique disco, le pari était loin d'être gagné, de même qu'avec son sujet qui aurait facilement pu laisser place à un pensum larmoyant. Le cinéaste parvient à éviter tous les pièges qui jalonnent son chemin et livre une comédie pleine de charme, d'amour et d'humour. Prenant pour prétexte le voyage de deux drag-queens flanqués de leur amie transsexuelle pour rejoindre l'épouse de l'un deux à l'autre bout de l'Australie, le film est un road-movie qui s'amuse à perdre ses personnages dans le bush australien pour mieux les amener à se révéler tels qu'ils sont vraiment. Ainsi, nos héros/héroïnes croiseront sur leur chemin le rejet, l'amusement, l'amitié et même l'amour sans jamais tomber dans le pathos ou la critique facile. Bernadette, Mitzi et Felicia ne sont pas du genre à se laisser aller à pleurnicher sur leur condition, elles ont appris à encaisser et à se relever avec humour et panache de chaque chutes.
Le film ne perd pas de temps pour présenter ses personnages et le voyage démarre dès les premières minutes du film et c'est au cours de ce périple que les personnalités se dévoilent et que chacun des personnages laisse apparaître ses failles et ses blessures. Mitzi va donc rejoindre son ex-épouse et angoisse à l'idée de ces retrouvailles et surtout à l'idée de revoir son fils et de savoir quelle sera sa réaction face à la vie marginale de son père. Mitzi, elle, se remet difficilement de la mort de son jeune amant auprès de qui elle pensait avoir enfin trouvé le calme et la stabilité mérités après une vie de choix parfois difficiles à assumer. Felicia, la plus extravertie vient compléter le trio et se révèle au cours du voyage la plus fragile derrière ses excès, puisqu'elle n'est pas encore assez armée pour se défendre des attaques qu'elle ne soupçonnait pas rencontrer une fois la ville quittée.
Mais ces éléments ne sont qu'évoqués avec élégance et pudeur pour laisser place à ces fortes têtes qui laissent exprimer toute leur personnalité haute en couleur avec une énergie débordante. Ce sont des caractères entiers qui ne laisseront pas indifférents les individus qu'ils croiseront. Le film parvient à rendre attachant dès les premières minutes ces personnes pas comme les autres et qui, malgré les vacheries qu'elles se lancent à la figure à longueur de temps, font toujours preuve de solidarité et d'un grand amour les unes pour les autres. La partie dans le bush australien permet de mettre en valeur ce magnifique paysage presque fantastique et offre des scènes improbables mais très belles à l'image du bœuf improvisé entre nos drag-queens et des aborigènes réunis autour d'un feu de camp. L'interprétation est dominé par un Terence Stamp royal, visiblement content d'aller à contre sens de son image de sex-symbol du Swinging London et qui compose une Bernadette délicieusement cynique et pince sans-rire, adepte de la phrase qui tue. Stamp use à merveille de son accent et de sa stature aristocratique pour finir de rendre ce personnage mémorable. A ses côtés, les débutants Hugo Weaving et Guy Pearce démontrent qu'ils étaient déjà d'excellents acteurs, pour preuve : on oublie complètement leurs rôles postérieurs qui ont fait leur réputation.
Priscilla, folle du désert est donc l'exemple typique du feel-good movie, ce genre de bobine capable de vous redonner la pêche instantanément par son portrait plein d'élégance de trois individus en marge débordant d'humanité et souvent très drôle. Le film n'est probablement pas un chef d'oeuvre, d'ailleurs, il apparaît juste comme un film « sympa » à la première vision. Et pourtant, on se surprend à avoir régulièrement envie de le revoir, comme on rend visite a des amis que l'on n'aurait pas vu depuis longtemps, histoire de prendre une bouffée d'air revigorante.