En ce début d'années 30, le cinéma parlant fait son apparition à Hollywood et se démocratise dans tout le pays. Le monde du show-business est en émoi et notamment les producteurs de spectacles musicaux, pris de vitesse : la parole n'est plus désormais leur privilège. Ni leur principale arme de vente maintenant que le cinéma a cassé les prix. Pour un spectacle quotidien à cinq dollar la place, une salle de cinéma en offre en effet douze à 50 cents la séance... Mais Chester Kent, l'éminent producteur et metteur en scène de shows musicaux d'Hollywood, n'a pas encore dit son dernier mot : si le monopole du son n'est plus, il leur reste en revanche celui de la couleur, de la danse et du chant en direct. Et puisque le public, déjà de moins en moins nombreux à se presser aux guichets des théâtres, déserte de plus en plus les salles de spectacles au profil des salles de cinéma, c'est donc là-bas qu'il ira le conquérir. C'est ainsi qu'avec l'accord de ses deux associés véreux, et des principaux propriétaires de salles de cinéma de Los Angeles, puis du pays tout entier, Chester met au point une série de shows de courte durée, appelés prologues, destinés à divertir le spectateur avant l'extinction des feux et la projection du film. Ou comment la bande d'annonce fit son apparition dans les salles de cinéma et devint un spectacle à part entière.

Comme le chef d'oeuvre de Donen et Kelly qui sortira dix-neuf ans plus tard, Footlight Parade dessine en filigrane la résistance du monde du spectacle face à l'arrivée massive du cinéma parlant. Mais là ou Singin' in the Rain s'entichait des déboires sentimentaux des stars du cinéma muet dans le nouveau monde de la parole, le film de Bacon s’intéresse lui à la réaction immédiate du monde du spectacle musical face à la désertion de ses salles et suit donc le combat acharné d'un producteur et metteur en scène pour la survie de son art, si éphémère et fragile soit-il. Le film a l'intelligence de ne pas verser dans la nostalgie (ce n'était pas vraiment dans l'ère du temps des années 30) et choisi plutôt que l'industrie du cinéma, la compagnie concurrente Gladstone comme adversaire. Un adversaire qui, ayant infiltré les rangs de la compagnie Kent, est au courant dans les moindres détails des dernières trouvailles du génial producteur et force ce dernier à innover et inventer sans cesse des numéros plus virtuoses les uns que les autres afin de glaner le précieux contrat qu'Apolinaris, un propriétaire épicurien de nombreuses salles de cinéma de Los Angeles, propose à la meilleure des deux compagnies. Kent a désormais trois jours et trois nuits pour monter trois prologues et les présenter, à l'issu de ce délai, dans trois salles pleines à craquer...

Sur les cents quatre minutes que dure le film, les trente-cinq dernières sont consacrées aux trois numéros musicaux de la compagnie Kent. Trente-cinq minutes pendant lesquelles Busby Berkeley est en première ligne derrière la caméra et montre toute l'étendue de son talent de metteur en scène de danse. Si le travelling entre les jambes des girls dans 42nd Street avait fait son petit effet à l'époque, gageons que les danses aquatiques et kaléidoscopiques du second numéro ("By a Waterfall") intronisèrent une fois pour toutes Busby comme le plus grand chorégraphe de son époque. Cette séquence est la meilleure du film et est tout simplement époustouflante de virtuosité. Les plongées au dessus de la cascade et du bassin, et la ronde des danseuses-nageuses sont ancrées pour toujours dans ma mémoire de cinéphile. Et que dire de ce chef d'oeuvre d'invention et d'ingéniosité pendant le premier show ("Honeymoon Hotel"), qui voit la caméra s'éloigner des danseurs et révéler, au spectateur médusé, l'immense hôtel reconstitué à l'échelle et éventré comme une maison de poupée... Et que dire alors du dernier numéro "Shanghai Lil", dont le décor rétractable de saloon laisse soudain place à une rue de Shanghai envahie par la Marine marchant en rythme et chantant : "He's been looking high and he's been looking low, looking for you, Shanghai Lil"...

Lloyd Bacon ne m'a pour l'instant jamais déçu. Ce n'est peut être que le quatrième film que je vois de lui, mais ni 42nd Street en 1933 (déjà co-réalisé par Berkeley), ni Picture Snatcher la même année (déjà avec Cagney, qu'il retrouvera de nombreuses fois), ni même encore le formidable et méconnu Marked Woman avec Davis et Bogey en 1939 n'ont écopé d'autres choses que des louanges. Mais malgré leur grande qualité, Footlight Parade est bien au-dessus. Très haut. Inatteignable. C'est à n'en pas douté le chef d'oeuvre du film musical des années 30, voire du genre à part entière. Il donne, en plus du numéro bien rodé de boute-en-train hyper-actif qui lui convenait à merveille (Wilder devait avoir ce film en tête lorsqu'il le casta en 1961 pour One, Two, Three), l'occasion à Cagney de montrer quel acteur incroyable il était. L'un des plus grands. L'un de mes acteurs préférés, à défaut d'être le seul. Il savait absolument tout faire : danser et chanter ici et dans Yankee Doodle Dandy (qui lui valut l'oscar en 1942), inquiéter par sa folie, sa démence et sa violence dans The Public Enemy, Angels with Dirty Faces, The Roaring Twenties et surtout White Heat, émouvoir aux larmes dans The Mayor of Hell, White Heat et Angels with Dirty Faces encore et surtout The Fighting 69th, et faire rire aux éclats dans The Strawberry Blonde, The Bride Came C.O.D. et One, Two, Three... Si en plus on lui donne comme partenaire féminine la sublime et talentueuse Joan Blondell (ces deux là n'ont pas arrêter de se croiser au début de leur carrière) et qu'on les entoure des meilleurs seconds rôles de l'époque (Ruby Keeler, Dick Powell et Frank McHugh)... La coupe de mon admiration se remplit à ras bord et se transforme en Saint Graal. Perceval peut arrêter de chercher, j'ai trouvé le château de Carbonek.
blig
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le 30 janv. 2015

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