La liberté de baiser
Sympa ce docu. Davy y suit donc des putes ; les intervenantes sont intéressantes, dévoilent de belles anecdotes. Ce qui est bien c'est que l'auteur n'essaie pas démoniser la chose ni de dresser un...
Par
le 9 juil. 2017
2 j'aime
Un an après le carton du film Exhibition qui donnait la parole à une actrice de film pornographique le réalisateur Jean-François Davy continuait de s'interroger sur le sexe dans la société française à travers son film Prostitution, un docu-fiction basé sur de nombreux entretiens avec des travailleuses et quelques travailleurs du sexe. De l'anecdotique plutôt rigolo, jusqu'aux contours d'une réelle souffrance Jean-François Davy illustre à merveille par l'image les vers de Georges Brassens " Bien que ces vaches de bourgeois, les appelles des filles de joie, c'est pas tous les jours qu'elles rigolent paroles paroles".
Prostitution se base donc essentiellement sur des témoignages de prostituées et de quelques travestis mais aussi sur des séquences reconstituées. Jean François Davy est aidé pour les interviews par son éternelle complice Claudine Beccarie et pause également sa caméra en tant que témoin aux premières assises de la prostitution qui avait fait suite à divers occupations d'églises et mouvements de révolte du milieu de la prostitution au cœur des années 70. Le film permet donc de découvrir de l'intérieur cette grande réunion très bordélique mais dans laquelle pour la première fois prostituées, travestis et acteurs de la société s'interrogeaient sur les métiers du sexe une forme d'hypocrisie politique et sociale. Cette réunion chaotique libertaire et engagée faisait donc suite à de nombreuses mobilisations de prostituées du printemps 1975 symbolisé par l'occupation d'une église à Lyon en juin 1975, qui elle même répondait au scandale des policiers proxénète de 1972, le tout renforcé de sordides faits divers de prostituées assassinées et le durcissement de lois condamnant l'activité de racolage. Et même si c'est souvent filmé à l'arrache dans un chaos assez indescriptible le film témoigne que Jean-François Davy s'inscrivait bel et bien dans certaines préoccupations fortes de son époque. Petit détail amusant on peut voir l'humoriste et homme de télé Stéphane Collaro venir soutenir le mouvement des prostituées tout en chantant avec une certaine classe et finesse La Pêche aux Moules.
Mais ce qui fait le cœur et l'intérêt de Prostitution c'est bel et bien la parole de ces femmes, de leurs doutes, de leurs histoires, de leurs désirs et de leurs convictions. Le film est parfois amusant lorsque les prostituées racontent les désirs tordus de certains clients comme ce type qui prenait son pied en chantant La Marseillaise à poil tandis que la prostituée fait la Statue de la Liberté debout sur une table. D'autres préfèrent courir après une fille nue avec une plume dans les fesses ou plus étrange partager un bon plat de petits pois carottes avec une prostituée nue le tout après avoir éjaculer dans la casserole. Au-delà de l'anecdotique le film montre que même lorsqu'elles assument totalement le métier qu'elles exercent il se cache presque toujours derrière ces trajectoires des souffrances et des accidents de la vie. Sans langue de bois, visiblement parfaitement mise en confiance par des interviewers à l'écoute, les prostituées interrogées nous parlent de leurs rapports avec la police, des souteneurs, des clients, de leur image dans la société, de leurs revenues, de leurs souffrances, de leur difficulté à aimer, de leurs contradictions morales et de leurs espoirs. Une parole libre qui s'en va parfois sur un terrain glissant lorsqu'elles évoquent le rapport aux clients immigrés avec des propos parfois très discutable et même par moment franchement nauséabonds. Mais même si certains propos écorchent les oreilles et les sensibilités ils démontrent d'une formidable liberté de paroles d'autant plus qu'une des prostituée viendra contrebalancer quelques propos racistes en expliquant que les clients immigrés étaient souvent bien plus propres, courtois et respectueux que les français. De par ses nombreuses intervenantes et intervenants, pour les nombreuses thématiques abordées, Prostitution est un film et un témoignage riche de son époque. Alternant légèreté et gravité, le film nous offre des moments assez émouvants comme cette prostituée d'âge mûr ne pouvant retenir ses larmes aux souvenirs des nuits passées en prison. Le film s'appuie donc essentiellement sur ses témoignages et ses confessions de femmes et de travestis mais il comporte également des séquences reconstituées dont je ne remettrai pas en cause la réalité mais qui ne sonnent pas tout à fait juste à l'image allant parfois jusqu'à créer un certain malaise comme lorsque une prostituée se retrouve face à un client violent et machiste.
Cet aspect vrai/faux même si il est parfaitement assumé par son réalisateur brouille un peu l'aspect purement documentaire du film, une sensation renforcée par la présence de la très jolie et charismatique comédienne de film x Claude Janna dont il bon de préciser le parcourscar elle se fera justement remarquer avec ce film et quittera ensuite le monde de la prostitution pour celui du cinéma pornographique. Petit détail amusant lors d'une interview on voit l'actrice faire subir à une fleur à la forme équivoque des caresses qui dénotent de la déformation professionnelle. Prostitution contient également des séquences qui donne la parole à d'autres personne que les prostituées elle même avec un micro-trottoir dans lequel les gens donnent leur avis plutôt amicale sur le plus vieux métier du monde. Le film comporte aussi une scène assez savoureuse dans laquelle une prostituée rencontre des femmes qui travaillent dans un atelier de couture et qui vont confronter leurs visions du travail et du salaire et s'interroger si d'une manière générale le fait de louer son corps et son effort à l'exercice d'une profession n'est pas en soit une forme de prostitution. J'aurai aimé que le film donne aussi la parole à des gens bien absent des débats comme les clients, les policiers et les politiques.
Mais le point d'orgue du film est sans aucun doute la longue interview finale dans laquelle Jean-François Davy rencontre Grisélidis Réal une femme assez extraordinaire à la fois artiste, écrivaine, peintre, poétesse, prostituée et militante (mais pas féministe) dont les paroles pleines de bon sens, d'intelligence, de liberté et de sagesse sont un véritable bonheur pour les oreilles. Meneuse de la révolution des prostituées, celle qui considère la prostitution comme un acte révolutionnaire, un art et un acte d'humanisme nous offre une formidable leçon de vie et de tolérance avec un regard tellement compatissant et chaleureux sur le monde et la société que ces mots mériteraient d'être entendus et écoutés toujours et encore aujourd'hui. Survivante ayant échappée à la mort face à la violence de certains clients cette femme porte un regard toujours bienveillant sur la détresse et la souffrance de ses hommes contraint de payer pour recevoir l'amour qu'ils ne trouvent plus ailleurs que dans les bras des travailleuses du sexe. Grisélidis Réal est un fabuleux personnage et ne serait-ce que pour sa découverte, ses mots et sa profonde sensibilité Prostitution est un film qui mérite largement le coup d'œil.
Et comme c'est peut être elle qui parle le mieux de ses petites infirmières des fantômes qui rafistolent les cœurs en perditions autant lui laisser la parole pour conclure cette critique :
" Y a des hommes qui sont terriblement blessés dans les clients, faut pas croire qu'ils vont là pour le plaisir, en réalité ils y vont presque comme à la mort, pour eux c'est presque une souffrance d'aller faire l'amour ils n'ont même pas d'autres moyens que d'aller faire l'amour en payant et ça les fait doublement souffrir, ça les humilie d'avantage, faut comprendre ça.. il n'y a pas de véritables criminalité il n'y a que des souffrance - Ce que j'ai vu moi en regardant toutes ces merveilleuses putains de Paris c'est qu'elles avaient un cœur qui les dépassait - L'humanité est bien malade la pauvre, mais c'est ça qui est touchant, moi ça me bouleverse et quand je vois ces mecs qui tournent des nuits entières avec quelques billets dans la poche et une queue qui est tellement timide et triste, moi franchement je leur ferait ça gratuit, juste par amour, je les aime moi les gens ..."
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Seul Au Monde (Ou Presque), Blog à Part et 2022 : Films vus et/ou revus
Créée
le 26 mai 2022
Critique lue 36 fois
5 j'aime
7 commentaires
D'autres avis sur Prostitution
Sympa ce docu. Davy y suit donc des putes ; les intervenantes sont intéressantes, dévoilent de belles anecdotes. Ce qui est bien c'est que l'auteur n'essaie pas démoniser la chose ni de dresser un...
Par
le 9 juil. 2017
2 j'aime
Du même critique
Depuis longtemps, comme un pari un peu fou sur un avenir improbable et incertain , Clément filme de manière compulsive et admirative son frère Aurélien et ses potes. Au tout début du commencement,...
Par
le 16 oct. 2021
76 j'aime
5
Nouvelle série création pseudo-originale de Canal + alors qu'elle est l'adaptation (remake) de la série américaine Burning Love, La Flamme a donc déboulé sur nos petits écrans boosté par une campagne...
Par
le 28 oct. 2020
55 j'aime
5
J'attendais énormément de La Meilleure Version de Moi-Même première série écrite, réalisée et interprétée par Blanche Gardin. Une attente d'autant plus forte que la comédienne semblait vouloir se...
Par
le 6 déc. 2021
44 j'aime
4