Il en va ainsi de la psychomagie, art thérapeutique né du cheminement d’Alejandro Jodorowsky : apprendre à la raison à parler le langage des rêves, s’adresser à l’inconscient en réalisant des actes symboliques, qui, ainsi matérialisés, peuvent influer sur des blocages nichés dans l’inconscient et libérer le consultant.


Cette pratique, le réalisateur la dévoile dans Psychomagie, un art pour guérir et la tisse à des extraits de ses longs-métrages, de son premier, Fando et Lis, au dernier en date, Poesía sin fin, offrant ainsi la clé d’entrée à l’ensemble de son œuvre. Ni fiction ni documentaire, ce film est une proposition d’expérience. Dépouillé de toute pédagogie, il donne à voir – ou plutôt à éprouver -, après un bref préambule où Jodorowsky synthétise le principe de sa pratique, une constellation d’exemples, naviguant de l’intime au collectif.


Le premier est une archive. On y voit deux frères en rivalité face à leur mère. Alejandro Jodorowsky réalise, à l’époque, des massages thérapeutiques. Dans cette séquence, où les corps s’affrontent et s’enlacent comme dans un rite initiatique, une force émotionnelle opère : comme si, dans cette scène de réconciliation où s’exacerbent, dans un premier temps, les tensions entre les consultants, l’essence des mythes archaïques se déployait secrètement. Ces deux frères-là semblent convoquer Abel et Caïn, Étéocle, Polynice, et les autres. Ces images, sous-tendues par les notes douces et mélodiques d’Adan Jodorowsky, donnent son élan à ce film courageux, qui soulève en filigrane la question des effets de la représentation – et donc du cinéma – sur la psyché humaine.


En prenant le risque de filmer, bruts, quelques exemples d’actes thérapeutiques prescrits par ses soins, Jodorowsky interroge le geste même de mise en scène, ainsi que la place du spectateur. Car Psychomagie, un art pour guérir ne laisse pas celui qui le reçoit indemne. Y assister est loin d’être confortable. Nous faisons face à la souffrance humaine filmée plein cadre par Pascale Montandon-Jodorowsky, dont l’œil et l’écoute semblent directement reliés à ceux de son époux. Celle qui a eu une influence hautement bénéfique sur le cinéma de Jodorowsky, lui faisant gagner en lumière, en douceur, en féminité, est pleinement présente à ce qui s’offre à sa caméra. On est souvent bouleversé par des scènes poignantes, remué au sens littéral : ce qui se joue ici relève du mouvement, et donc de l’expérience. Jodorowsky analyse les forces en jeu dans l’arbre généalogique de ses consultants et la possible source de leur névrose, puis, grâce à sa clairvoyance et sa créativité, leur prescrit un acte, parfois spectaculaire, parfois plus intimiste, à réaliser face caméra. La plupart du temps, il y a un avant et un après, une libération, une délivrance qui opère. Là est le mouvement, l’avancée, qui peut être une parole fluide retrouvée pour un bègue ou une séparation salvatrice pour un couple en crise.


À l’image, Jodorowsky se fait discret – « C’est mon film le plus transpersonnel », dit-il. Lui n’est pas le sujet de son film. Ce qui l’est, c’est sa volonté d’aider les êtres en souffrance par l’art thérapeutique qu’il a élaboré et qu’il pratique gratuitement, toujours. Car pour lui, l’Art n’a de sens profond que s’il guérit et libère les consciences.


Ce qui émerge de Psychomagie, un art pour guérir, financé par une campagne de crowdfunding à laquelle ont répondu 10.000 contributeurs, est bel et bien un geste d’une grande générosité. C’est un chant d’espoir dans les potentiels infinis de l’être humain, une invitation à se défaire de ses carcans intérieurs pour exister pleinement et s’ouvrir au monde. Une ode à la liberté. L’œuvre d’un humaniste vrai.

7emeartmonamour
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le 2 oct. 2019

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