Ceux qui ont lu ma critique de Collateral vont finir par penser que j'ai une dent contre Mann, ce qui n'est pas tout à fait faux, ni tout à fait vrai. Je savais Public Enemies pourvu des mêmes apparats que le film précité; à savoir une caméra numérique outrancière, des acteurs connus à contre emploi, et la volonté de filmer un énième western urbain à l'ambiance crépusculaire mi film mi documentaire.
Apparemment j'ai exactement le même problème que Mann vis-à-vis de ses films: c'est celui d'avoir le cul entre deux chaises.
De mon côté je ne sais pas si je dois faire l'éloge du travail de mise en image (terme volontairement non exhaustif) minutieux, réfléchi et d'une qualité technique irréprochable de l'histoire de Dillinger, ou si je dois céder à l'impression qu'on m'a servi une belle salade autour d'une omelette norvégienne.
Du côté du réalisateur de Heat il semblerait qu'une évidente hésitation entre reconstitution de documentaire de luxe des années trente avec personnages et faits historiques à l'appui, et film romanesque sur les dernières aventures d'un braqueur célèbre qui tombe amoureux, fasse que le résultat se montre assez foutraque et inégal.
Inégal parce que ça commence fort: évasion, fusillades, morts, cavale, planque, présentation de protagonistes au fort potentiel dramatique jusqu'à ce que tout se casse très vite la gueule à l'introduction du personnage de Cotillard (encore une fois insupportable, faut il le préciser ?). Et Pan ! Une histoire d'amour aussi fulgurante que foutrement pas crédible tellement elle est appuyée ("blablabla est ce que vous voulez être ma femme après on boira un café big kiss forever luv blablâa"). C'est téléphoné et chiant, ça plombe le démarrage et on s'endort pendant un bon moment.
Il faudra donc attendre plus d'une heure et la scène de la célèbre évasion dite "du pistolet en bois" pour que Mann passe la seconde et que le film s'emballe un peu. Dès lors la mayonnaise commence à prendre un peu plus, la caméra s'éveille, les acteurs aussi genre "Putain qu'est ce qui s'passe !? Putain je dormais!", et Mann enchaine alors les poursuites et les fusillades aux petits oignons, insufflant ainsi un regain d'intérêt au spectateur. Des poursuites et des fusillades, d'ailleurs, qui ont le bon goût de se révéler sacrément percutantes et efficaces grâce à un traitement très réaliste à milles lieues des canons esthétisant actuels (bullet time, pirouettes cacahuètes au ralenti...), dieu merci.
Et puis c'est foutraque parce qu'assez décousu. Plusieurs pistes sont amenées, des personnages (historiques) à foison aux destins et aux backgrounds soit éclipsés, soit expédiés, renforcent une impression de capharnaüm ambiant, au milieu des péripéties et des bruits de coups de feu. L'histoire d'amour, qui arrive un peu comme un cheveu dans la soupe, est écartée un moment alors qu'elle croise le chemin d'une chasse à l'homme mêlée à la très timide évocation de la fin d'un certain banditisme au profit d'un nouveau plus moderne et insidieux. Puis la romance refait son apparition vers la fin pour céder à l'hommage dramatique. Bref, on ne sait plus sur quel pied danser, et cette impression de bordel scénaristique nuit énormément au film, qui je le pense vraiment, avait un énorme potentiel.
On pourra retenir des décors et des costumes impeccables qui miraculeusement ne paraissent pas artificiels malgré le grain si particulier et traitreusement révélateur de la caméra numérique. Un excellent travail de reconstitution. Du côté de l'interprétation par contre on frise le ridicule (Crudup), l'agaçant (Cotillard), le minimalisme syndical (Depp), et on flirte avec l'hystérique (Dorff, Graham). Mais ça va, on a l'habitude de ce genre de déconvenues dans les films choraux, non ?
Au passage un petit coucou à Christian Bale (et son fidèle accessoire: le balai dans le cul) dans le cadre de ma liste (http://sens.sc/HVdFm9) qui a toujours une tête de connard, si vous en doutiez encore.
Bref oui j'ai une dent contre Mann, depuis Heat je le trouve plutôt tiède.