Puparia
7.9
Puparia

Court-métrage d'animation de Shingo Tamagawa (2020)

Découvert totalement par hasard sur une suggestion Youtube alors que je pensais l’algorithme en cours de grave périclitation. J'ai été envouté et très touché par ce petit court d'animation, la technique m'a époustouflé, j'ai autant adoré la patte de Tamagawa que son style d'animation, à l'ancienne. Je l'ai regardé en boucle, comme hypnotisé et voici l'interprétation que j'en ai, je me suis nourri d'un commentaire sous la vidéo, qui donne de bonnes clés de lecture d'un certain Chad H, il y a 5 mois. Je m'excuse d'avance si je me livre à de la sur-interprétation, le but n'étant pas de s'épandre en masturbation intellectuelle, mais bien de tenter de livrer une lecture analytique, de livrer des axes de compréhension de l'oeuvre de Tamagawa. Cette lecture se base aussi beaucoup sur le making-off qui a été consacré à Puparia (visionnable ici https://youtu.be/VKsG3E7TLl4).

Le générique nous montre une oeuvre d’art, pleine de formes et de couleurs organiques, chaotiques. C’est l’aboutissement du travail de l’artiste qui ose créer en faisant face à son imagination plutôt qu’à son public.

La première scène nous présente une jeune femme assise dans un décor urbain à l’abandon, elle ne fait rien de particulier, elle semble profiter du moment présent. Derrière elle, une créature imaginaire se prélasse oisivement. De nombreux papillons jaunes virevoltent tranquillement. En fond de champ on voir un bosquet d’hibiscus.

Cette scène d’exposition nous présente une douce rêverie, le personnage se laisse emporter par ses songes, et flanne. Jusqu’à ce que le cadre se resserre en plan rapproché épaule, le personnage se relève alors soudainement, arrachée à son monde imaginaire. Elle quitte le champ.

La créature en arrière plan indique et matérialise l’onirisme de la scène et l’état du personnage. Le champ d’hibiscus, symbole de pureté et d’innocence, installe la candeur du personnage. Les papillons, représentent la liberté, la créativité, le pouvoir de l'imagination.

Ce jeu de profondeur entre arrière plan totalement onirique et premier plan réaliste sert à nous immerger dans la rêverie du personnage, les papillons, la créature et peut-être même les fleurs, n’existent que dans l’esprit du protagoniste.

La deuxième scène nous fait totalement changer de décor, nous sommes dans un intérieur faste, avec cheminée en marbre, papier peint richement ornementé sur des murs en bois nobles et travaillés, décoré d’oeuvres d’art (statue, tableaux, vases). Le contraste est double, nous passons d’un environnement extérieur urbain laissé à l’abandon à un intérieur cossu. Les oeuvres d’art sont inertes dans ce nouveau décor, elles servent de faire valoir à l’intérieur, dans la scène précédente, l’art et l’imagination étaient palpables, vivants, incarnés par les papillons, la créature, les hibiscus.

Dans le cadre du premier plan, les portes mènent vers des pièces avec d’autres portes qui mènent vers d’autres pièces, il en résulte une impression d’étouffement qui ajoute au jeu de contraste avec la scène précédente.

Un homme en caleçon se présente dans le champ, sa position, le dos courbé, les épaules tombantes peuvent indiquer un poids, une charge mentale. Alors qu’il tente d’ouvrir une porte il est soudain happé par le couloir, qui renforce le sentiment d’asphyxie qui se dégage du lieu, les portes ne semblent mener que vers de nouvelles pièces, ce qui accentue l’aura labyrinthique du lieu, qui ressemble à une prison dorée.

Une chrysalide, puparia, arrive alors à toute vitesse depuis la profondeur insondable de ce couloir, c’est la naissance, la gestation d’une nouvelle idée, d’un nouveau sentiment dans ce dédale quotidien qui semble peser au personnage.

Les gros plans sur le visage de l’homme nous montrent son oeil gauche, qui semble défaillant, dévitalisé. Symboliquement on peut y voir une dualité, ce personnage est peut-être tiraillé entre l’art consommable dont il est visiblement friand, qui agrémente son intérieur, cette prison d’art-objet que nous possédons et consommons et cette nouvelle idée créatrice, cette chrysalide, qui vient se refléter dans son oeil valide.

La troisième scène nous replace dans un extérieur, et s’ouvre sur le gros plan du visage d’une jeune femme. Son expression se referme, elle semble contrariée, en écho à l’homme de la deuxième scène, elle semble elle aussi porter un lourd fardeau mental.

Le cadre passe à un plan d’ensemble d’où nous appercevons une végétation diffuse, partant dans toutes les directions. L’arrière plan nous indique une nouvelle fois la confusion, le conflit intériorisé du personnage. Les nombreuses ramifications de cette racine qui obstrue la végétation chaotique du lieu, symbolisent l’indécision, l’inaptitude à y voir clair et à se repérer.

Cette scène entre donc en résonance avec la scène précédente et tout comme la chrysalide brisait la monotonie pesante du personnage masculin, cette jeune femme semble soudainement agir, trouve et pointe du doigt une nouvelle direction dans cette confusion générale.

La dernière scène nous présente un mur qui s’ouvre vers une vaste plaine de mêmes formes et couleurs que le générique. En haut du mur se dresse un personnage avec un renard ou kitsune, riche en symbolisme dans la mythologie japonaise. Des papillons bleus volent paisiblement. Le renard après un regard complice vers ce quatrième personnage, avance vers les étendues bariolées. Le personnage, non genré, à l’apparence d’un enfant, représente, le créatif, l’artiste. Il fait face aux étendues de sa créativité, qui s’expriment en couleurs, en formes, à perte de vue. Ce kitsune c’est son esprit anticonformiste, aventurier, explorateur, qui se soustrait aux conventions imposées par les goûts des masses populaires. Le mur sur lequel il siège oppose l’étendue créative et le regard des masses, qui toisent, jugent l’artiste sur ses prochaines actions. Ce mur représente la limite bâtie de main humaine, par les masses populaires qui n’osent pas le franchir, entre la réalité concrète et l’évasion vers des mondes imaginaires.

Tout n’est pas perdu pour ces masses qui contemplent en silence le spectacle de l’artiste qui fait corps avec son art, littéralement, le corps de l’enfant est pigmenté des mêmes motifs qui remplissent la vaste étendue imaginaire et le générique de Puparia, il s’agit de l’oeuvre finale de ce personnage artiste.

Le papillon bleu vole parmis les masses populaires qui n’osent pas franchit le mur, nous le voyons lorsqu’un gros plan est fait sur le visage d’un enfant dans la foule. Le papillon a ici encore une fois une symbolique d’imagination de liberté, la volonté de voir au delà du mur est bien présente.

L’artiste se retourne vers les masses et prend conscience d’être observé, il ne se laisse en aucun cas déstabiliser, sa volonté créatrice ne fléchit pas, il ose faire face à son imagination plutôt qu’à son public, il adresse même un sourire bienveillant aux masses d’un air de dire «  Rejoignez-moi ».

Très vite il détourne le regard pour revenir à son centre d’attention, l’oeuvre, il va entrer dans son processus créatif en entamant un mouvement lors du dernier plan vers les étendues imaginaires, se détournant des jugements et regards hagards de ses pairs pour créer en toute liberté.

PierrickBjrn
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le 17 oct. 2022

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PierrickBjrn

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