A la suite des Raisins de la Colère, John Ford poursuit son exploration de la classe ouvrière en adaptant un roman s’attachant à celle des mineurs du pays de Galles.
Germinal humaniste, Quelle était verte ma vallée prend tout d’abord le point de vue d’un enfant et du récit rétrospectif. Par une douce voix off, le souvenir de l’homme âgé patine l’enfance d’une nostalgie dénuée de mièvrerie et rend compte d’un monde industriel en pleine expansion. De l’enfance, il reste une vallée où la nature dominait encore sur le charbon de la mine, et l’occasion donnée au cinéaste de filmer ses fameux plans où les arbres majestueux encadrent les hommes, où les champs de jonquilles sont si superbement éclairé qu’on croirait les voir jaunes en dépit du noir et blanc.
La vie de la famille est donc rythmée par celle de la mine, dans un décor marquant qui symbolise admirablement l’emprise du travail sur les individus : c’est une allée pentue que gravissent les travailleurs chaque matin pour rejoindre les grandes cavités qui dévorent, tandis que les femmes les saluent devant leur maison, témoins d’un défilé inaltérable.
Plus encore que dans Les Raisins de la Colère, John Ford donne ici corps à la foule et la collectivité car celle-ci est sédentaire. Marquée par un rythme, elle ponctue son labeur d’un recours fréquent au chant, qu’il soit de fête ou de douleur lors des accidents trop fréquents.
La grande intelligence du récit est de ne pas se laisser aller au sentimentalisme manichéen. Dans la communauté comme dans la famille, l’homme est faillible. Un père trop autoritaire et ne supportant pas les élans syndicalistes de ses fils, une mère (très drôle) dépassée par les concepts abstraits que son petit dernier découvre à l’école dressent un portrait authentique et contrasté de la classe ouvrière. Mais c’est surtout l’entourage qui fait l’objet d’un traitement plus lucide. L’école ou la communauté chrétienne sont croquées avec acidité, monde cruel et médisant, toujours prêts à détruire les individus. Face à eux, un personnage récurrent chez Ford, celui du pasteur : démissionnaire dans Les Raisins, il est ici au contraire à l’aube de sa carrière et croit autant en Dieu qu’en ses fidèles. D’une foi éclairée, considérant la prière comme une pensée pleine de clarté permettant de parler avec réflexion, il professe avant tout le bon sens et la morale. Ses auditeurs seront peu nombreux : l’enfant-narrateur, et surtout sa sœur, occasionnant une nouvelle déclinaison elle aussi chère à Ford, celle du trio amoureux et du mariage de raison opposé aux élans du cœur.
C’est donc par un savant équilibre que le film atteint sa profonde empathie pour ses personnages. Comme toujours, les rôles secondaires sont à l’honneur et chaque membre de la famille parvient tour à tour à lui donner vie et épaisseur. Le regard de l’enfant attaché à sa famille et appelé à en dépasser la classe par l’instruction, celui du pasteur rivé à sa communauté et désabusé de sa méchanceté intrinsèque sont à même de trahir les failles de cette humanité universelle.
On retrouve certaines similitudes avec le très beau Adalen 31 sur la destinée des travailleurs : les accidents, l’alarme en sifflet qui terrorise toute la ville et ces élans de solidarité qui galvanisent même les aveugles. Mais à la différence du film suédois, la place n’est occupée que par les travailleurs, et non leurs dirigeants.
En résulte un lyrisme puissant, presque dénué d’indignation. Cette émotion si singulière qui se déploie lorsque les élévateurs refont surface pour charrier les corps des mineurs touche la force unique du cinéma de Ford : une peine sans colère, une empathie proche de celle que professe le pasteur, et qui nous enjoint, dans le sillage de Capra, à une foi humaniste sans pareille : celle d’un enfant qui réapprend à marcher dans un champ de jonquilles.

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le 28 août 2014

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