C’est un joli et intrigant titre qu’a choisi la toulousaine et presque trentenaire Léa Fehner pour son premier long-métrage. En effet, Qu’un seul tienne et les autres suivront sonne comme un précepte religieux, prend l’apparence d’un proverbe sentencieux, qu’on penserait extrait d’un poème ancien, qui renvoie au documentaire sur la souffrance au travail intitulé Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés (2006). Les mêmes notions de l’individu confronté au collectif s’y retrouvent et ce n’est pas complètement fortuit que le film démarre par une scène où, sur le parking d’une prison, une femme à terre crie son désarroi et son égarement, implorant le cercle d’autres visiteurs, muets et impuissants à soulager le malheur qui l’étreint.
La prison constitue le cœur de la narration, lieu centripète où tout finit par se jouer et aboutir. Qu’un seul tienne et les autres suivront appartient au genre choral – qui, à notre avis, atteint rapidement ses limites dans ce qu’il sous-tend de fabrication et de primauté laissée au scénario et à l’écriture au détriment de la mise en scène et de la pure création cinématographique – en entremêlant le destin et la trajectoire de plusieurs personnes ayant en commun un certain isolement que l’irruption d’un événement tragique ne va qu’accentuer en le nourrissant de désillusion et d’amertume. Pour illustrer cette descente aux enfers qui passe par le renoncement et la résignation, Léa Fehner s’appuie sur trois personnages dont la culture, la condition et la trajectoire diffèrent tellement qu’ils ne seront jamais reliés, mais seulement réunis au même moment au même endroit : un parloir de prison et ses visites de trente minutes durant lesquelles se produit un moment clef de leur existence qui la modifiera à jamais. La jeune réalisatrice, également aux manettes de l’écriture et de l’adaptation, ne fait pas dans la légèreté, loin s’en faut. Entre l’ado de 16 ans qui tombe amoureuse d’un garçon rebelle bientôt derrière les barreaux, la mère algérienne dont le fils vient d’être assassiné et l’homme en perdition à qui il est proposé un marché cornélien, on ne sait qui est le plus dans la mouise. En revanche, on choisit très tôt quelle histoire nous touche le plus, celle qui paraît à la fois la plus convaincante et la moins artificielle. Sans conteste, la démarche humaniste de la mère algérienne quittant son pays pour rejoindre Marseille et tenter de comprendre et d’apaiser sa peine avant de juger et de condamner se révèle la plus bouleversante, notamment parce que l’actrice Farida Rahouadj lui communique l’intensité de sa douleur intériorisée, sans débordements de larmes et de cris.
L’interprétation demeure d’ailleurs le point fort du film, tout comme retient l’attention la succession de brefs instantanés (pleurs, éclats de joie ou de voix) qui, mieux que de longues scènes, suffisent à exprimer la particularité d’un espace déshumanisé et sans intimité où les visites qui s’achèvent renvoient le détenu à sa solitude. Léa Fehner veut sans doute en dire beaucoup et embrasse du coup pas mal de sujets sociétaux, ce qui laisse une impression d’abondance et de manque de concision qui casse le rythme du film, éparpillé, souffrant d’une construction trop appuyée (et donc visible) conduisant de manière volontariste à la scène finale. Possédant les défauts de ses qualités, Qu’un seul tienne et les autres suivront passe néanmoins largement la rampe en mettant à jour un vrai talent de scénariste et une capacité à échafauder une narration complexe à la fluidité rêche. Il y a donc du potentiel dans ce premier essai encouragent et prometteur.