Dans la longue tradition qui unit le monstre et l’enfant, il s’agit la plupart du temps de dissiper les apparences : vaincre la crainte de l’autre que son allure, sa taille démesurée ou son étrangeté rendent effrayant. C’est la possibilité de crever l’écran opaque de la terreur, qui s’est toujours nourrie du sang noir de l’ignorance : E.T. est adorable, la créature de Super 8 ou le Géant de Fer suscitent l’empathie.


Quelques minutes après minuit reprend cette idée, et celle, bien exploitée aussi, de la navigation entre le monde imaginaire de l’enfance créé comme une compensation ou un prolongement de celui des adultes. La vie est dure pour Connor, qui doit affronter harcèlement à l’école, l’abandon de son père parti refaire sa vie à l’autre bout du monde, un cancer bien avancé de sa mère et la rigidité de sa grand-mère. Des circonstances atténuantes, en somme, pour se réfugier dans les branches d’un arbre humanoïde qu’il ne semble pourtant pas avoir appelé de ses vœux.


Le trait peut sembler un peu forcé ; mais de trait, il sera fortement question : de celui qu’un crayon trace dès le superbe générique, à ces émotions trop vives pour trouver la voix des mots, c’est par le dessin et les mondes imaginaires que devront se régler les soubresauts violents de l’inconscient.
Le monstre annonce trois histoires à raconter : la dernière devra être à la charge de l’enfant, et ce sera la vérité.
Les deux premières, en alternance avec l’évolution de Connor dans son réel misérabiliste, sont l’occasion d’un recours à une animation à base d’aquarelles assez somptueuses, qui nous prouvent qu’on peut recourir à la CGI sans avoir l’obligation de faire dans la laideur. Mais les récits surprennent aussi par leur fond, et la complexité de leurs dénouements : fustigés par l’enfant qui n’y voit pas la stabilité morale habituelle, ils perdent leur capacité à structurer et catégoriser les notions du bien et du mal. Cette évolution et la lente infusion qu’elle va avoir sur le réel permettront au jeune garçon d’affronter sa réalité.


Car il s’agit avant tout d’explorer sa part d’ombre : le monstre assume ainsi, comme de bien entendu, la violence et la colère qui sommeillent dans cet être trop vite blessé par la vie. Mais, bien loin de la revanche cathartique et fictionnelle (mon copain l’arbre va tout détruire et je gagnerai enfin le respect des autres) attendue, c’est toujours, in fine, pour assumer ce que la violence exprime réellement : un sentiment de culpabilité, des aveux informulés, et une spirale masochiste à la recherche d’un châtiment.


Dans cette optique, le contrepoint entre les actions de l’enfant et la réaction des adultes, (parmi lesquels Geraldine Chaplin, qui semble subrepticement apporter la noirceur du très grand film sur l’enfance qu’est Cria Cuervos) qui s’obstinent à ne point le punir, entretient une ambivalence tout à fait originale : le conte n’a pas pour vocation de clarifier les choses, mais bien d’ouvrir le rideau sur ce que nous sommes, à savoir des êtres complexes, capables de désirs noirs et d’égoïsme a priori en tout point condamnable.


Dessiner pour échapper à l’invisibilité, oser la noirceur de ses émotions profondes, les colorer des pulsions de vie : autant d’éléments maniés avec tact, et au profit d’une courageuse confrontation à la réalité, contre laquelle tous les univers fictifs ne pourront jamais rien ; de cet affrontement surgira la justesse des émotions, devenues rares dans le cinéma grand public contemporain.


(7.5/10)

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le 28 mars 2017

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