Depuis un petit temps, je me suis rendu compte à quel point la Nouvelle Vague tchécoslovaque recelait de petites pépites toutes plus fantaisistes et inventives les unes que les autres. Une bien belle ironie quand je songe il y a des années au fait que je m'amusais du fameux cliché du film tchécoslovaque en noir et blanc de 3h30 filmant un fermier labourant son champ. Comme quoi l'on est jamais à l'abri d'une bien bonne surprise. Jusqu'à présent, je n'avais pas encore approché la filmographie de Vaclav Vorlichek, essentiellement connu chez nous justement grâce à "Qui veut tuer Jessie ?". Ce film sortait alors dans une période dorée qui vit un boom artistique sans précédent où une nouvelle génération de cinéastes émergea, promouvant l'espoir et la liberté de création. Celle-ci sera de courte durée vu que l'arrivée des chars lors du Printemps de Prague entraîna le retour de la dictature communiste.
Mais qu'à cela ne tienne, nombre de réalisateurs marquèrent au fer rouge le cinéma national. Loin des drames fantasques de Frantisek Vlacil ou de Jaromil Jires, Vorlichek préfère la comédie satirique. Et quelle comédie ! Car ce n'est pas tant les situations délirantes d'une intrigue surréaliste qui en sont le point fort. Ce qui est le centre névralgique de "Qui veut tuer Jessie ?" est bien sa satire qui n'en est pas éloignée de Docteur Folamour où il était question de militaires apparentés à de sales gosses colériques. Ici, le milieu scientifique s'en ramasse plein la gueule. Grandiloquents, ils aiment jouer à Dieu quitte à se vautrer dans le ridicule. Pire encore, ils sont l'instrument d'un pouvoir totalitaire se servant d'eux pour manipuler l'humanité même. On le verra lors de la déclaration d'un scientifique qui trouve tout à fait normal d'influencer par la pensée l'opinion publique.
La science est au service du fascisme idéologique et sa doctrine "soit, tu es avec nous, soit tu es contre nous". Celle-ci n'en sera qu'éludée mais démontre bien que l'éthique scientifique peut vite se désagréger dans les institutions gangrénées par une politique omniprésente et qui plus est aux aspirations liberticides. Incapables de se remettre en question et s'émerveillant devant des situations pouvant vite devenir catastrophiques si elles ne sont pas très étroitement contrôlées, le propos en est jubilatoire. Vorlichek fait partie de ces gars qui respectent le sacro-saint enseignement "Mieux vaut rire de la bêtise humaine que de s'en plaindre !", semonçant l'idéal rouge qui n'a pas eu son pareil dans les massacres. On peut pousser la réflexion plus loin en analysant le sens même du rêve qui est lié à l'imaginaire. Hors, le régime communiste interdisait toute chose relative à l'irréel. Le réalisme populaire était seule vérité immuable. Tout propos divergent devant être éliminé. Bienvenue dans un monde staliniste fantastique où il est interdit de rêver.
Avec un sens du rythme aiguisé, on contemple la fusion du cinéma et de la bande dessinée via l'incrustation des bulles émanant de la bouche des personnages sorties de l'imagination de notre pauvre Jindrich Beranek. Le générique de début à lui seul vaut le détour. Parfois, il y aura quelques effets graphiques typés BD. "Qui veut tuer Jessie ?" mélange monde réel et monde onirique pour un résultat détonnant. A cela, on rajoute la beauté flamboyante de Olga Schoberova qui magnétise à elle seule notre regard. Dénuée de toute parole, sa simple présence en jette à l'écran et, qui plus est, est une attaque subtile envers la morale en l'exhibant de manière sexy, peu habillée. "Qui veut tuer Jessie ?" est un véritable vent de fraîcheur à lui seul, quasiment un incontournable de la comédie qui mériterait d'être plus mis sur le devant de la scène.