[série : SanFelice révise ses classiques, volume 1 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379]

Je n'aime pas les biopics. Sauf exceptions, bien sûr, mais qui sont rares.
Mais ce film, c'est bien autre chose qu'un biopic. Et c'est bien autre chose aussi qu'un simple film de boxe. Le générique d'ouverture, à lui seul, suffit pour nous en assurer. Un moment de grâce où LaMotta, seul sur le ring, sautille au ralenti, visiblement en attendant l'arrivée d'un adversaire. Moment en apesanteur, moment quasiment rêvé.
Et les combats de boxe, dans le film, sont filmés d'une façon absolument inédite, irréelle, parfois brutale, parfois quasiment surnaturelle. Filmés, aussi, de façon à ce qu'on ne puisse pas prendre parti pour l'un des combattants. Il n'y a qu'à voir Janico se faire refaire le portrait par un LaMotta pour avoir mal pour lui, pour sympathiser avec lui.
Et ce match est, lui-même, très significatif. Avant d'aller sur le ring, LaMotta nous a fait une de ces scènes de jalousie dont le film est parsemé. Jalousie envers Janiro, son adversaire jeune et mignon. Jalousie qui explique le déchainement inouï de violence sur le ring, face à un boxeur qui est perçu comme une menace, non pas sur le ring mais, pire, dans sa vie privée. Et voilà comment les matchs et la vie privée sont mêlés.
Et ces matchs sont de grands moments de cinéma, assemblage exceptionnel de mise en scène, photographie, bruitages ou musique.

Le film va donc raconter, de façon elliptique, la vie de Jake LaMotta de 1941 à 1964. Selon un modèle bien connu : ascension et chute. Le même modèle que Scorsese emploie dans ses films maffieux.
Parce que Raging Bull ressemble énormément à un film maffieux. D'abors, il a le casting idéal : DeNiro, Joe Pesci, bien sûr, mais aussi Frank Vincent, un habitué des seconds couteaux dans ce type de productions.
Le cadre, celui d'une famille italienne du Bronx ; l'importance du thème des liens familiaux ; violence permanente ; gang rival (celui de Salvy) et Tommy Como qui se comporte comme un parrain, tous les éléments sont réunis. Qu'on ne s'y trompe pas, pas grand chose distingue ce film des futurs Affranchis.
A cela, Scorsese ajoute un incontournable hommage au cinéma classique hollywoodien. Par le traitement magnifique du noir et blanc, par les personnages, par l'ambiance même, Raging Bull se rapproche énormément des films noirs.
Et, pour finir le cocktail magique, je me demande s'il n'y a pas un aspect autobiographique dans ce film. La portrait de l'univers italo-américain des années 40 est superbe et, lorsque LaMotta fait visiter à Vickie l'appartement de ses parents, j'avais l'impression de voir là le cadre de l'enfance du cinéaste.

En tout cas, Raging Bull est un des sommets du cinéma scorsesien. Très reconnaissable à son traitement de la violence : elle est constamment dans l'atmosphère. Tout, dans ce film, est violent. Comme si LaMotta considérait que les matchs se poursuivaient dans la vie réelle (sauf que, bien souvent, les matchs de boxe sont moins violents que la vie réelle, dans ce film).
Le moindre rapport familial ou social se ponctue de "je vais le tuer", "je vais tuer ta famille, ton chien...". La violence tient lieu de lien familial et conjugal. Jake et son frère Joey, Jake et sa femme Vickie, Jake et Salvy, tout est violent.
Comme souvent, cette violence est d'autant plus agressive qu'elle arrive sans prévenir, par afflux, et qu'elle alterne avec de grands moments de grâce, où la caméra semble en apesanteur.
Le thème de la rédemption, très scorsesien lui aussi, est présent également dans le film, plus subtil peut-être mais incontournable lorsque Jake dit "J'ai fait beaucoup de mauvaises choses, Joey, peut-être que je paye maintenant."
En tout cas, le cinéaste s'est plu à faire le portrait d'un personnage complexe, impossible à définir précisément, incapable d'être enfermé dans une catégorie. On l'imagine comme un salaud, puis une image où il pleure suite à un match truqué nous prend à la gorge et il devient impossible de lui en vouloir. Jake est un héros des rings puis un beauf des bistrots. le personnage gagne en profondeur à chaque scène et en devient d'autant plus indéfinissable.

Revoir ce film, de trop nombreuses années après une première vision, fut plus que bénéfique pour moi. ça m'a permis de comprendre à quel point Raging Bull est un chef d’œuvre, une des pièces maîtresses du cinéma scorsesien. La maîtrise du cinéaste y est évidente dans chaque image, mais aussi dans l'interprétation, la musique, le montage (encore Thelma Schoonmaker, décidément formidable). Une merveille !

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le 22 juin 2014

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SanFelice

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